De Sultan Shahin, Rédacteur-en-Chef, New Age Islam
7 October 2008
L'initiative révolutionnaire de Maulana Kalb-e-Sadiq pour rassembler les musulmans indiens des communautés chiites et sunnites à l'occasion de l'Eïd a réjoui les cœurs de beaucoup de musulmans dans le pays. Une réaction similaire a eu lieu la première fois que Mohtarma Syeda Hamid a pris les fonctions de Qazi lors d'une cérémonie Nikah sunnite. C'est peut-être le moment adéquat et il semble que cela a créé une atmosphère propice pour discuter des différences idéologiques entre sunnites et chiites et les perspectives réelles d'unité dans la plus grande objectivité possible.
Initialement venu d'un milieu sunnite, j'ai peut-être hérité et absorbé quelques doutes et préjugés sunnites, mais à un niveau conscient, j'essaie de me rappeler que le Prophète Mohammad (que la paix soit sur lui) n'était ni chiite ni sunnite et nous sommes à l'origine des disciples du Prophète et seulement du Prophète. Chaque personnage vénéré dans l'Islam ne vient qu'en second plan. Aussi, les différences entre chiites et sunnites étaient principalement de nature politique et les constructions idéologiques sont venues beaucoup plus tard, probablement seulement pour rendre ces différences plus durables, et peut-être encore dans la poursuite d'objectifs politiques.
Je pense aussi que s'il est si difficile à l'époque actuelle, avec tous les types de médias qui nous suivent partout 24/7 pour savoir exactement ce qui se passe, qui fait quoi et avec quelles motivations politiques, il serait futile pour nous de prendre part aux batailles du 7ème siècle une fois de plus. Comme nous ne pouvons pas revenir en arrière et lutter avec le Prophète Mohammad dans la bataille de Badr et Uhad, nous ne pouvons pas non plus revenir en arrière et sauver sa famille du massacre à Karbala.
Le choix qui s'offre à nous aujourd'hui est de savoir si nous continuons ce combat vieux de 14 siècles ou si nous y renonçons et faisons la paix afin d'être libre de manière à nous concentrer sur d'autres défis et objectifs qui sont davantage en lien avec l'époque à laquelle nous vivons. L'un d'eux est de planifier un programme pour l'Islam du 21ème, repenser chaque postulat de l'Islam à la lumière des réalités actuelles, en dépit de toute l'opposition que les éléments obscurantistes de notre société évoquent.
L'initiative de Mohtarma Syeda Hamid et de Maulana Kalb-e-Sadiq nécessite également un suivi déterminé. Consultez s'il vous plaît : Chiites et Sunnites Célèbrent l'Eïd Ensemble à Lucknow http://newageislam.com/NewAgeIslamArticleDetail.aspx?ArticleID=843
Alors que les chiites et sunnites sont à couteaux tirés dans plusieurs pays, y compris dans notre propre voisinage au Pakistan, en Inde, les musulmans, la deuxième plus grande communauté islamique du monde après l'Indonésie, se disputent aussi violemment pour des raisons confessionnelles. En effet, une femme chiite Mohtarma Sayeda Hamid a récemment célébré la cérémonie Nikah d'un couple sunnite à Lucknow. Consultez s'il vous plait : Une Femme Célèbre le Nikah, et Etablit un Rapprochement entre Chiites et Sunnites également
http://www.newageislam.com/islamic-ideology/woman-qazi-creates-history-in-lucknow-/d/546
De même, dans de nombreux autres pays avec les communautés musulmanes, il y a peu de preuves de violence entre chiites et sunnites. En effet, ces dernières années, une coopération importante entre les deux groupes est apparue dans des pays auparavant divisés comme le Liban, même si bien sûr des différences se poursuivent et peuvent donner lieu à de la violence à tout moment dans le futur à moins que la communauté mondiale musulmane fasse un effort conscient pour combler le fossé idéologique qui semble grand mais qui en réalité est assez petit comme nous le montre notre présente discussion. Avec les Etats-Unis, ou tout au moins une partie de son administration, envisageant sérieusement la création d'états séparés chiites autour des puits de pétrole du sud de l'Arabie Saoudite et de l'Irak – ils seraient suffisamment petits pour être gouvernés comme des protectorats - le monde islamique fait face à un défi majeur qui est de réconcilier les différences idéologiques entre chiites et sunnites à la hâte.
Et même si une telle idée farfelue n'a pas été mise en œuvre, la possibilité très réelle d'un régime fondamentaliste chiite dans le style iranien finalement montant en Irak sur les cendres de la laïcité sunnite de l'administration de Saddam, a le potentiel pour renverser le fragile équilibre confessionnel du pouvoir dans le monde arabe, si ce n'est dans le monde musulman. Ce qui amène à la question de savoir si l'oumma (communauté) musulmane est en mesure de relever le défi. L'initiative de Maulana Kalb-e-Sadiq est peut-être petit mais reste un très important pas dans ce processus et c'est pourquoi je répète avec toute l'intensité de mes moyens que nous ne devrions pas laisser passer l'occasion ainsi générée nous échapper.
Quelle est la réalité et la profondeur du fossé entre chiites et sunnites?
En dernière analyse, tout se résume en une seule question : quelle est la réalité et la profondeur de la fracture entre chiites et sunnites? Quelle est la part d'idéologie et celle causée par des intérêts personnels politiques et sociaux? Y a t-il un élément de lutte tribale, ethnique et classe également impliqué? En revanche, quelle est la part d'apparente harmonie inter-communautaire qui est promue par des facteurs externes - la menace perçue du fondamentalisme hindou dans le cas de l'Inde, et la nécessité de chasser les forces d'occupation américaines dans le cas de l'Irak ?
Les chiites, qui représentent une forte minorité de 15 pour cent de la communauté musulmane dans le monde, et le reste des musulmans qui sont sunnites, suivent essentiellement la même idéologie. De faibles différences idéologiques et des incompréhensions majeures se sont cependant glissées dans leurs perceptions de l'autre au cours de l'histoire de leurs querelles qui s'étend sur presque toute l'histoire islamique d'environ 1400 ans.
La genèse de la fracture entre chiites et sunnites se situe dans un litige à propos de la succession du Prophète Mohammed qui a commencé peu de temps après sa mort en 632 après JC, avant même son enterrement, et a culminé lors de l'assassinat brutal de ses petits-fils et autres membres de sa famille à Karbala, en Irak aujourd'hui.
Le fossé entre chiites et sunnites aurait pris du sens si les sunnites avaient justifié le massacre de Karbala. Aucun sunnite ne le fait. Les victimes de Karbala sont universellement considérées comme des martyrs. Les sunnites et les chiites pleurent leurs morts durant le mois de Moharram et commémorent le 40ème jour (chehlum) de l'événement macabre. Au cours des 10 jours de l'Achoura, lorsque chaque soir les chiites commémorent la bataille de Karbala, avec un imam gémissant et fouettant la congrégation dans une frénésie de larmes et de poitrine flagellée, les sunnites accomplissent eux aussi des rituels semblables. La seule différence est dans l'intensité. Alors que les sunnites versent simplement des larmes, écoutant les descriptions graphiques de ce qui est arrivé à Karbala et se frappent la poitrine avec leurs poings, les chiites versent leur sang, se frappant la poitrine et les épaules avec des petits couteaux et autres instruments tranchants.
Différend sur la succession du Prophète
La scission entre les chiites et les sunnites s'est produite dans les décennies qui ont suivi la mort du Prophète et s'est aggravée depuis. Les sunnites considèrent Hazrat Ali, un beau-fils du Prophète, comme le quatrième et dernier du Khulafa-e-Rashedeen (califes guidés à juste titre - les successeurs de Hazrat Mohammed comme chef des musulmans). Il suivit le premier calife Hazrat Abu Bakr (632-634), le second Hazrat Umar (634-644) et le troisième Hazrat Usman (644-656). Les chiites estiment qu'Ali aurait dû être le premier calife et que le califat doit se transmettre seulement aux descendants directs de Mohammed (que la paix soit sur lui) par le biais d'Ali et de Fatima. Ils font souvent référence à eux-même comme comme les ahl-al-bayt ou «gens de la maison» (du Prophète).
Les points d'ignition pour les émeutes, comme au Pakistan de temps en temps, sont habituellement fournis par l'insistance chiite extrémiste d'abuser publiquement les trois premiers califes, même pendant qu'ils traversent les quartiers sunnites lors d'une procession durant Moharram, et l'insistance sunnite à son tour d'essayer d'arrêter cette pratique provocatrice.
Les chiites croient que les trois premiers califes ont usurpé le pouvoir qui appartenait légitimement à Hazrat Ali. Les sunnites vénèrent Hazrat Ali autant qu'ils respectent les trois premiers califes, et n'apprécient pas la pratique chiite de tabarra (le rituel de diffamation des trois premiers califes). Les savants chiites disent que le tabarra n'est pas une partie de leur pratique habituelle et que seuls des gens égarés s'y adonnent. "Si certains chiites calomnient les trois califes, ils le font par ignorance et recherchent le pardon de Dieu," dit l'érudit islamique Dr Shahid Athar basé aux Etats Unis.
Les chiites considèrent les trois premiers califes comme des compagnons du Prophète (Sahaba) et des administrateurs, mais non comme des chefs spirituels (les imams). L'imam chiite Jafar Sadiq Hazrat était lui-même un descendant de la famille du premier calife Hazrat Abu Bakr. Mais les sunnites objectent à tort car ils croient que tous les chiites se livrent à cette pratique odieuse de malédiction et de moquerie des trois premiers califes, si ce n'est pas dans les rues de zones sunnites, tout au moins à leur domicile.
Il semble que Hazrat Ali a lui-même accepté les deux premiers califes Abou Bakr et Hazrat Umar, sans aucune réserve, mais il a peut être été en désaccord avec certaines de leurs politiques. Il n'a présenté sa candidature pour le Khilafat (le califat) qu'après l'assassinat du deuxième calife. Il ne pouvait pas se résigner à l'élévation de Hazrat Usman en tant que troisième calife et a rejoint les rangs de l'opposition presque immédiatement. Homme d'une piété rigoureuse, il se distinguait dans ses perceptions et interprétations du Coran et des Hadith par rapport aux trois califes, mais surtout de Hazrat Usman.
Le Khilafat était essentiellement un poste administratif, exigeant les qualités d'un homme d'Etat et de pragmatisme plus que de piété et de courage, même si un khalifa était à la fois le chef spirituel et temporel de l'État. Ces traits ne sont pas exclusifs mais ils sont certainement rares. En outre, les sunnites croient que le Prophète ne pouvait pas finalement promouvoir le principe héréditaire comme le Coran qu'il a apporté à ce monde insiste de manière répétée sur le fait que l'hérédité, la race, la richesse ou toute autre qualité que la piété ne peuvent donner aucune supériorité sur toute autre personne.
Hazrat Ali a bénéficié d'une estime universelle. Le Prophète lui-même l'avait décrit comme Babul Ilm, la Porte d'Entrée de la Connaissance. Mais on peut voir pourquoi les Quraysh, la tribu au pouvoir, ont émis des réserves quant à son élévation au Khilafat après la mort du Prophète, quand on étudie l'histoire de son propre règne.
Le règne de Hazrat Ali a été marqué par des conflits internes, des hésitations et des erreurs de jugement de sa part. Il se trouva mêlé à des conflits dès ses débuts. Il avait été choisi comme khalifa dans une situation extraordinaire. Le troisième calife, Hazrat Usman, avait été tué par des rebelles, dont un fils du second calife, Hazrat Umar, alors qu'il était en train de lire le Coran dans une mosquée. Il avait été assiégé pendant un certain temps. Au cours des émeutes précédant l'assassinat, Hazrat Ali resta largement à l'écart et ne défendit pas le khalifa, tout en agissant comme porte-parole des rebelles de temps en temps.
Ainsi, quand il a été nommé khalifa, la toute première question à laquelle il a été confronté était de savoir ce qu'il fallait faire des assassins de son prédécesseur. Il décida de ne pas agir contre eux. Il subit toutefois l'opposition de Hazrat Aisha, l'épouse du Prophète et fille du premier calife Hazrat Abu Bakr, qui l'accusa de laxisme dans le traitement des tueurs de Hazrat Usman devant la justice. Après que l'armée d'Ali ait vaincu les forces d'Aisha lors de la bataille du Chameau en 656, elle présenta ses excuses à Ali et fut autorisée à rentrer chez elle à Médine, où elle se retira de la vie publique.
Un parent de Hazrat Usman, le puissant gouverneur de Syrie, Muawiya, cependant, n'accepta pas cette situation. Il voulut que les assassins soient traduits en justice. Il refusa également de rendre hommage au nouveau khalifa. Hazrat Ali sortit avec son armée pour imposer l'obéissance. Muawiya l'arrêta à Siffin. Après s'être fait face pendant plusieurs mois, une célèbre bataille eut lieu. Hazrat Ali était sur le point de la gagner lorsque le perfide Muawiya hissa des exemplaires du Coran sur des lances comme une demande de paix et une requête pour régler le différend par voie d'arbitrage. Hazrat Ali accepta l'arbitrage. Mais certains de ses disciples pensèrent que cela allait à l'encontre des indications données dans le Coran et par conséquent retirèrent leur fidélité à Hazrat Ali. Ces dissidents furent appelés des kharjis (rebelles).
Arbitrage des différends
L'hésitation de Hazrat Ali à ce moment là s'est révélée désastreuse. Il a accepté l'arbitrage contre le meilleur jugement de certains de ses fidèles les plus orthodoxes et pieux, au moment où la victoire après une longue et dure bataille était en vue, mais n'a pas accepté le verdict quand il est allé contre lui. Les arbitres désignés par les deux parties ont décidé que Hazrat Usman avait été tué injustement et, par conséquent, que ses assassins devaient être punis. Avant de protester pour essayer de reprendre sa campagne contre Muawiya, il a cependant appelé les rebelles à revenir.
Mais les kharjis, la plupart d'entre eux de pieux musulmans, ont décidé que puisque Hazrat Ali avait désobéi au Coran en acceptant l'arbitrage, il ne méritait pas leur obéissance. Les kharjis n'ont pas écouté ses appels, Hazrat Ali a alors procédé au massacre, faisant ainsi beaucoup de ses anciens disciples d'âpres ennemis. Il ne pouvait pas marcher contre Muawiya puisque ses disciples l'abandonnèrent en grand nombre, l'accusant de comportement anti-islamique en violation de la convention d'arbitrage. Par la suite, la tâche de nommer un khalifa a été laissée aux deux mêmes arbitres, dont l'un avait été auparavant désigné par Hazrat Ali lui-même. Aucun d'entre eux n'était préparé à même le considérer comme un candidat.
Cela peut être du à mon éducation sunnite, mais les performances de Hazrat Ali comme calife remettent difficilement en question le jugement des premiers musulmans qui ne l'ont pas considéré pour le poste de premier Khalifa dans la situation la plus éprouvante dans laquelle s'est retrouvé l'Islam à la mort du Prophète. Dans tous les cas, le Prophète avait pratiquement montré sa préférence pour son ami et compagnon Hazrat Abu Bakr pendant sa dernière maladie en lui demandant de diriger les prières qu'il allait lui-même rejoindre pour la dernière fois avant sa mort.
Histoire de discorde
Après la mort de Hazrat Ali, Muawiya s'est déclaré lui-même calife. Le fils aîné d'Ali, Hasan, accepta une pension en échange de ne pas continuer à revendiquer le califat. Il mourut moins d'un an plus tard, prétendument empoisonné. Hussein, fils cadet d'Ali, accepta de revendiquer le califat jusqu'à la mort de Muawiya. Toutefois, lorsque Muawiya décéda en 680, son fils Yazid usurpa le califat. Hussein lança une armée contre Yazid, mais en infériorité numérique désespérante, lui et ses hommes furent abattus lors de la bataille de Karbala. Jeune fils d'Hussein, Ali survécut et la lignée du Prophète continua. Yazid forma la dynastie héréditaire des Omeyyades. Les quelques musulmans qui demeurèrent des partisans et adeptes de ces martyrs, même sous la domination brutale de Yazid, s'appelèrent eux-mêmes Shi'iaan-e-Ali (partisans d'Ali) ou tout simplement chiites. La majorité silencieuse des musulmans qui ont consenti au califat de Yazid furent appelés des sunnites.
Les chiites continuèrent à vénérer ceux qui sont nés dans la famille d'Ali et Hasan comme des imams ou maîtres spirituels. Mais la lignée héréditaire a disparu en 873 lorsque le dernier imam chiite, al-Askari, a disparu à quelques jours de la date à laquelle il hériterait du titre à l'âge de quatre ans. Il n'avait pas de frère. Les chiites ont toutefois refusé d'accepter qu'il était mort, préférant croire qu'il était simplement «caché» et qu'il reviendrait. Quand, après plusieurs siècles, il ne parvint pas à revenir, le pouvoir spirituel fut transmis aux oulémas, un conseil de 12 chercheurs qui élirent un imam suprême. Le meilleur exemple connu moderne de l'imam chiite suprême est le feu ayatollah Ruhollah Khomeini, le chef spirituel de l'Iran, qui a marqué le début de la révolution islamique renversant le Shah soutenu par les États Unis en 1979.
Ressemblance avec la scission catholico-protestante
La scission entre chiites et sunnites dans l'Islam s'est peu à peu mise à ressembler à certains égards, à la division entre catholiques et protestants dans le christianisme, avec les chiites se développant le long des lignes catholiques et les sunnites en accord avec les protestants sunnites sur certains aspects. L'imam chiite s'est retoruvé imprégné de l'infaillibilité dont bénéficie le pape et la hiérarchie religieuse chiite n'est pas sans rappeler la structure et le pouvoir religieux de l'Église catholique. L'Islam sunnite en revanche est plus flexible que les églises protestantes indépendantes.
Contrairement aux chiites, les sunnites ne disposent pas d'un clergé officiel. Ils respectent les savants et juristes islamiques mais ne se sentent pas liés par leurs fatwas (édits religieux). Les chiites croient que leur imam suprême est pleinement un guide spirituel, qui a hérité d'une partie de l'inspiration de Hazrat Mohammed ("light"). Les imams chiites sont perçus comme les interprètes infaillibles de la loi et de la tradition. Les sunnites utilisent le terme imam avec un petit «i» pour désigner les dirigeants de prières dans les mosquées.
Une fierté raciale et ethnique a émergé plus tard, ce qui exacerba davantage les relations entre les communautés confessionnelles. Les héritiers des civilisations non-arabes, principalement perses et indiennes, se tournèrent vers l'Islam chiite en grande partie pour se créer une identité distincte et parfois exprimer leur dissidence s'ils ne se sentaient pas traités équitablement par les dirigeants arabes.
La propagation de l'Islam chiite n'était pas non plus toujours volontaire. En effet, la dynastie safavide chiite en Iran imposa l'Islam chiite sur la population sunnite au début du 16ème siècle. RM Savory de l'Université de Toronto écrit dans la Cambridge History of Islam: «L'imposition de l'Islam chiite sur un pays qui, officiellement du moins, était encore majoritairement sunnite, ne pouvait évidemment pas se faire sans susciter d'opposition, ou sans la persécution de certains qui refusaient de se conformer. La désobéissance était punie de mort, et la menace de la force était là depuis le début. En ce qui concerne les gens ordinaires, l'existence de cette menace semble avoir été suffisante. Les oulémas étaient les plus tenaces. Certains ont été mis à mort; bien d'autres ont fui vers les zones où le sunnisme prévalait encore - à la cour timouride d'Herat et, après la conquête de Khorassan par les Safavides, la capitale Ozbeg à Boukhara. »
Bien qu'il existe des chiites partout dans le monde musulman, le seul pays majoritairement chiite est l'Iran. La majorité des populations de l'Irak, le Yémen et l'Azerbaïdjan, elle aussi est chiite. Il existe également d'importantes communautés chiites à Bahreïn, sur la côte est de l'Arabie Saoudite et au Liban. Le Hezbollah, qui a forcé les Israéliens hors du Sud-Liban en 2000, est chiite.
Lents efforts de rapprochement
Beaucoup de musulmans à travers le monde, aussi bien sunnites et chiites, travaillent à un dialogue et une réconciliation entre les deux communautés confessionnelles. Ils font valoir qu'il est tout simplement impossible de comprendre pleinement et encore moins de juger les personnages historiques de l'Islam et leurs motivations aujourd'hui, 13 ou 14 siècles après l'événement, qui ont conduit au schisme de l'Islam. En effet, il n'est pas possible de juger les gens, même quand les événements ont lieu aujourd'hui à la vue du monde médiatique.
Si on ne peut pas dire avec certitude, par exemple, si Saddam Hussein a effectivement constitué une menace imminente pour le monde occidental (civilisé?), comment peut-on juger si Hazrat Ali était impliqué dans l'assassinat de Hazrat Usman en 656, même s'il a continué à protéger les tueurs tout au long de son califat? Et avons-nous même besoin de les juger aujourd'hui ? Beaucoup se le demandent.
Les différences idéologiques
Les différences idéologiques entre les deux communautés confessionnelles qui ont découlé de ces événements lointains ont continué à empoisonner les relations mais elles ne sont pas d'une importance vitale pour la pratique de la religion de l'Islam. En fait, celles-ci ne sont pas plus importantes que les différences entre les quatre écoles de pensée reconnues parmi les sunnites eux-mêmes. Pourtant, beaucoup de sunnites se plaignent que les chiites semblent prendre les fondements de l'Islam pour acquis, se concentrant principalement sur la glorification de Hazrat Ali et le martyre d'Hussein et des membres de sa famille.
Le thème fort du martyre et de la souffrance dans l'Islam chiite a tendance à exaspérer beaucoup de sunnites. Les chiites sont soupçonnés d'éprouver un dédain profond envers l'Islam sunnite. Mais quiconque connaît l'amertume avec laquelle les communautés sunnites comme Barelvis et Wahhabite Deobandis en Asie du Sud se battent entre eux, chacun appelant l'autre kafir (mécréant), par exemple, ces différences entre chiites et sunnites semblent être tout à fait insignifiantes.
En fait, aux premiers jours de l'Islam, les chiites dominants n'étaient pas exclus de la vie de la communauté musulmane, même si les savants sunnites et chiites avaient l'habitude de participer à des débats très animés. L'imam Abou Hanifa et l'imam Shafii, qui détiennent conjointement le serment d'allégeance d'une écrasante majorité de sunnites, étaient des partisans de diverses causes chiites. L'imam Shafii participa activement à un soulèvement chiite au Yémen, et l'imam Abou Hanifa fut impliqué dans une rébellion zaydite chiite en Irak. En effet, l'imam Abou Hanifa a ouvertement reconnu sa dette envers le sixième imam des chiites, Hazrat Jaafar As-Sadiq, pour sa propre formation en matière de hadiths (paroles du prophète Mahomet) et le fiqh (droit musulman).
Malgré tous ces siècles de vieille amertume, les sunnites et les chiites sont d'accord sur les principes fondamentaux de l'Islam - Les cinq piliers - et se reconnaissent mutuellement en tant que musulmans. Certains mollahs obscurantistes Wahhabites au Pakistan, cependant, portés par leur succès dans le cas de la secte sunnite Ahmadi, ont commencé à exiger que les chiites, eux aussi, soient déclarés non-musulmans. Il semble que le Cheikh Ibn Baz d'Arabie Saoudite, dont les dirigeants Wahhabites sont à la pointe de la propagation de la haine inter-confessionnelle, est allé aussi loin que de déclarer dans un édit que les sunnites ont la permission de manger la viande des gens du Livre (juifs et chrétiens) mais pas la viande abattue par les chiites.
Le principal grief Wahhabite est que les chiites ont même changé leur déclaration de foi de base, la shahadah. La shahadah sunnite est la suivante : «Il n'y a de Dieu qu'Allah, Mohammed est le Messager d'Allah. Mais les chiites ajoutent ce qui suit : « Ali est l'ami d'Allah. Le successeur du Messager d'Allah et de son premier calife. »
Différences pratiques
Certaines différences pratiques ont également glissé dans les rituels religieux des communautés chiites et sunnites. Les chiites ont un appel légèrement différent de la prière, avec quelques mots supplémentaires glorifiant Ali. Ils effectuent leurs ablutions et leurs prières un peu différemment. Par exemple, ils placent leur front sur un morceau de glaise durcie de Karbala et non pas directement sur le tapis de prière quand il se prosternent. Ils ont aussi tendance à combiner les prières, parfois prient seulement trois fois par jour au lieu de cinq. Mais il s'agit surtout d'une pratique individuelle basée sur la commodité et c'est certainement mieux que de ne pas prier du tout. Dans tous les cas, les mosquées chiites effectuent les prières cinq fois par jour comme dans les mosquées sunnites.
Alors que l'écriture de base, le Coran, est la même dans le cas de ces deux communautés, les chiites préfèrent s'appuyer sur des paroles différentes du Prophète et des narrateurs différents. Ils préfèrent des paroles narrées par Ali et Fatima davantage que celles liées à d'autres compagnons du Prophète, en particulier Aisha. L'Islam chiite permet également un mariage à durée déterminée appelé mutah, qui est maintenant interdit par les sunnites. Le Mutah était initialement autorisé à l'époque du Prophète et est maintenant promu en Iran, selon le savant musulman Hussein Abdul Waheed Amin, par "une alliance improbable de religieux conservateurs et de féministes, le dernier groupe cherchant à minimiser l'obsession de la virginité de la femme qui est répandue dans les deux formes de l'Islam, soulignant que seulement une des 13 épouses du Prophète était vierge quand il les a mariés ".
Il y a une profusion de contradictions dans les revendications et accusations faites par toutes les parties concernées. L'accusation la plus importante contre Hazrat Usman était celle d'innover et d'aller au-delà du Saint Coran et des conseils du Prophète. Hazrat Ali a lutté contre ces innovations. Mais lui-même fit face à cette même accusation par ses partisans reconvertis rebelles, les Kharjis, sur la question de l'arbitrage.
Les chiites critiquent à juste titre les Omeyyades pour établir leur dynastie. Quiconque connaît quelque chose de l'Islam sait que la religion prêche l'égalité complète entre tous les êtres humains, sauf pour des motifs de piété. Mais les chiites croient également que la dynastie du Prophète aurait du continuer à régner à jamais, quelles que soient les mérites des personnes qui hériteraient de cette responsabilité. Beaucoup de sunnites considèrent comme blasphématoire l'idée même que le Prophète Mohammed ait voulu établir sa propre dynastie.
Une opportunité pour l'unité entre les chiites et les sunnites surgit en 750. Suite à une révolte dirigée par Abu al-Abbas al-Saffah et soutenue par les chiites, presque toute l'aristocratie des Omeyyades a été anéantie à la bataille de Zab en Egypte. Il était prévu que le chef spirituel chiite Jafar As-Siddiq, le petit-fils de Hussein, soit installé comme caliphe. Mais quand Abbas mourut en 754, cette disposition n'avait pas encore été finalisée et le fils d'Abbas al-Mansur assassina Jafar, saisit le califat et fonda la dynastie Abbasside basée à Bagdad qui prévalut jusqu'à ce que Baghdad soit prise par les Mongols en 1258.
Une autre possibilité est venue beaucoup plus tard. En 1959, le cheikh Mahmoud Shaltoot, directeur de l'école de théologie à l'université al-Azhar au Caire, le plus auguste siège de l'apprentissage de l'Islam sunnite et la plus ancienne université du monde, a émis une fatwa reconnaissant la légitimité de l'école de droit Jafari à laquelle la plupart des chiites adhèrent.
La fatwa a soulevé deux points :
1) L'Islam n'exige pas à un musulman de suivre une madh'hab (école de pensée) particulière. Au contraire, nous disons : chaque musulman a le droit de suivre une des écoles de pensée qui a été correctement narrée ainsi que ses verdicts compilés dans ses livres. Et tous ceux qui adhèrent à ces madhahib [écoles de pensée] ont la possibilité de changer et d'adhérer à une autre école, et cela ne sera pas considéré comme un crime.
2) L'école de pensée Jafari, qui est également connue comme "al-chiite al-Imamiyyah al-Ithna Ashariyyah" (c'est à dire, Les Douze Imami chiites) est une école de pensée dont le culte est religieusement correct à suivre comme les autres écoles de pensée sunnites. Les musulmans doivent savoir ça et s'abstenir de tout préjugé injuste vis-à-vis de toute école particulière de pensée, puisque la religion d'Allah et sa loi divine (la charia) n'a jamais été limitée à une école de pensée particulière. Leurs juristes (mujtahidoon) sont acceptés par Allah le Tout Puissant, et il est permis aux «non-mujtahid» de les suivre et d'accorder leur enseignement en fonction que ce soit dans le culte (ibadaat) ou les transactions (mu'amilaat).
Beaucoup pensent que cette fatwa peut être la base du dialogue et de la réconciliation. Il peut au moins constituer un point de rapprochement entre chiites et sunnites. Le défunt Imam Ayatollah Ruhollah Khomeini d'Iran a montré des résultats prometteurs dans cette direction. Sa révolution en 1979 pour renverser le Shah n'a jamais été appelée une révolution chiite : elle a toujours été appelée une révolution islamique.
Fatwa de mort contre Salman Rushdie
L'édit (fatwa) de mort de Khomeiny en 1989 contre Salman Rushdie pour son livre Les Versets Sataniques est largement contesté et pour plusieurs raisons. Mais le fait demeure que c'est pour la défense des épouses du Prophète, y compris Aisha, qui avait combattu avec Hazrat Ali et n'est donc pas très bien considérée par les chiites. Rushdie n'avait pas «dénigré» Ali ou ses fils ou l'Islam chiite même selon ses critiques chiites. Il s'était exercé sur l'Islam, Mohammed et ses épouses.
Outre de nombreuses et négatives ramifications de la fatwa de Khomeiny - l'identification des musulmans avec l'intolérance occidentale, par exemple, a commencé à ce moment - cela eut la conséquence positive de rapprocher les religieux chiites et sunnites. Mais l'occasion était perdue. Même ceux parmi les musulmans qui s'opposèrent à la fatwa ont du s'accorder sur le fait qu'il n'y avait rien de particulièrement chiite à ce sujet.
Dans les circonstances créées par l'intervention renouvelée des Etats-Unis dans le monde arabe, un besoin urgent de réconciliation est de nouveau senti. Si les discussions dans les médias islamiques et forums internet donnent une indication, il y aura peut-être bientôt du mouvement dans cette direction. Beaucoup de sunnites et de chiites se disent insatisfaits de la fracture inutile et fondamentalement dépourvue de sens.
L'unité entre chiites et sunnites en Inde peut servir de source d'espoir
Mais il y a aussi une prise de conscience que cela ne va pas être une tâche facile. Il est de notoriété publique que l'organisation militante pakistanaise Sipah-e-Sahaba qui est accusée d'assassinat ciblé de chiites, a pendant des années été financée par les dirigeants Wahhabites d'Arabie Saoudite. L'Iran, dit-on, finance Tehrike-Nifaze-Fiqhe-Jafria, une organisation militante chiite au Pakistan. Ces deux organisations continuent d'attiser les flammes de l'hostilité grandissante entre chiites et sunnites au Pakistan.
En ce qui concerne le monde arabe, le renommé érudit islamique Seyyed Hossein Nasr aux Etats Unis dit: «Beaucoup d'argent et d'efforts ont été dépensés au cours des dernières années pour attiser le feu de la haine entre chiites et sunnites dans la région du golfe Persique, avec d'évidents fruits politiques et économiques pour le pouvoir à venir. "
C'était il n'y a pas si longtemps que ça que les Arabes ont conféré une "quasi-unanime légitimité» à l'invasion de l'Iran par Saddam dans les années 1980 sous le prétexte trompeur que la puissance chiite de plus en plus dans le quartier constituait un danger pour les dirigeants arabes sunnites de la région du Golfe. Les huit longues années de guerre Iran-Irak, qui n'a fait plus que toute autre chose que creuser le fossé entre chiites et sunnites, a été entièrement soutenu par les puissances occidentales.
C'est cette alliance contre nature du nationalisme arabe laïque de l'Irak de Saddam Hussein, du fondamentalisme Wahhabite islamique de l'Arabie Saoudite avec l'impérialisme occidental et ses ressources médiatiques massives qui a créé la perception actuelle d'un vaste fossé entre chiites et sunnites. Ce n'est pas pour rien que les médias occidentaux mentionnent rarement un Irakien en tant que musulman. Il n'y a pas de musulmans en Irak, seulement des chiites, sunnites et Kurdes; comme il n'y avait pas non plus de musulmans au Kosovo, mais des Albanais de souche.
Le fait que la réaction chiite largement prédite contre la domination sunnite irakienne de plusieurs décennies ne s'est pas matérialisée, peut signifier que le projet impérialiste de diviser pour régner n'a pas réussi dans ce pays, du moins jusqu'à présent. Maintenant, c'est aux chiites dans d'autres parties du monde à s'inspirer de l'exemple irakien et de chercher à combler le fossé qui sépare les deux communautés confessionnelles, de promouvoir l'harmonie et la paix sans se laisser décourager par le fanatisme des extrémistes et les machinations des puissances impérialistes.
Les communautés sunnites et chiites de l'Inde peuvent servir de phare d'espoir dans ce processus. Laissez-nous faire le suivi des initiatives prises récemment par Mohtarma Syeda Hamid et Maulana Kalb-e-Sadiq et continuons d'avancer dans le sens d'un dialogue véritable et franc, conduisant à une réelle unité.
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