Par Juhi Shahin
CHAPITRE 2
Questions religieuses
La caractéristique que l’Islam ne partage avec aucune autre religion, et dont tous les penseurs ont fait l’éloge, est tout simplement qu’il ne s’agit pas seulement d’une idée philosophique, mais également d’une action : être un bon musulman signifie ainsi être un être bon.[i][i][xi]
Lorsque Fateh(puri a tenté de décrire et de rationaliser l’Islam, cela n’avait rien à voir avec ce qui se fait traditionnellement – les débats de missionnaires, les discours coloniaux sur le sujet, voire les opinions de ses contemporains et de ses prédécesseurs. Sa motivation était simplement son intérêt pour la raison et la religion. Selon ses propres termes : « Avant, quand je réfléchissais (et j’avais l’habitude de beaucoup réfléchir), c’était le plus souvent sur des questions liées à la raison et à la religion. La raison d’abord, parce que depuis l’époque de mes études je n’ai jamais accepté quoi que ce soit sans avoir auparavant satisfait mon esprit et mon âme. Et la religion ensuite, parce que j’ai été éduqué dans une atmosphère religieuse et que j’ai eu l’occasion d’étudier les « uléma@ » religieux. [ii][xii]
S’il devait y avoir un fil rouge qui relie tous les écrits de Fateh{puri@, ce serait ses débats avec les « ulémas@ ». Ce sont eux qui lui ont donné envie d’écrire sur des sujets religieux. Et c’était à eux qu’il posait ses questions et qu’il donnait ses propres réponses à ce qu’il trouvait discutable dans leurs avis. Il ne se penchait que très rarement sur des idées occidentales pour les discuter au regard de l’Islam, de même qu’ils tentaient peu de répondre à des questions islamiques à la lumière d’idées occidentales. Cependant, il connaissait bien tout le discours colonial sur l’Islam, tout arriéré et médiéval qu’il était, et il n’avait de cesse d’essayer de combattre ces idées en disant que les dires et les actes des « ulémas@ » n’étaient pas la seule manière d’observer l’Islam.
QU’EST-CE QUE L’ISLAM ?
Selon lui, ce que l’on entend par Islam et par le fait d’être musulman peut être interprété de différentes façons. Il s’interroge : ce que l’on pratiquait à son époque, était-ce vraiment l’Islam ? Ses fidèles peuvent-ils vraiment être appelés des musulmans ? Le véritable Islam selon Fateh{puri@ était rationnel, en accord avec son temps et progressiste. Fateh{puri disait sans ambages : « S’il est un trait majeur de l’Islam, c’est bien qu’il bouge avec son temps. On ne peut lui assigner une seule forme ou un seul sens. Il continuera à changer avec son temps et avec les progrès de l’intelligence et de la raison humaine. » [iii][xiii]
L’Islam occupait la première position dans l’échelle des religions du monde dressée par Fateh{puri@. Il a expliqué comment l’avènement des religions peut être vu par phases et comment, bien qu’elles soient nées les uns après les autres, la religion en place n’était jamais totalement éteinte alors que la nouvelle montait en puissance, de sorte que de nombreuses religions ont coexisté côte-à-côte. L’Islam est né dans une telle situation. Cependant, ce qui rendait l’Islam supérieur selon lui, était sa vision beaucoup plus large. Il n’était pas advenu pour une situation ou une époque particulière, mais se voulait éternel et entendait, dans le futur, être connu sous le nom de « religion complète ». On pourrait penser que cela impliquait une responsabilité supplémentaire pour l’Islam, ou plutôt pour les musulmans, qui devraient s’expliquer à chaque époque et en chaque lieu. L’Islam, s’il prétend être la religion complète et finale, ne devrait jamais se laisser aller à la stagnation, car il n’y pas d’autre religion à venir qui puisse rectifier ses erreurs. [iv][xiv]
L’Islam avait pour but de produire ce que Fateh{puri@ appelait un « esprit d’action ». Cet esprit d’action religieux ne signifiait pas seulement qu’il fallait accomplir des actions ostensiblement religieuses, comme dire la prière (nama@z), mais également qu’il fallait faire usage des ressources de la Terre pour améliorer sa propre vie, c'est-à-dire en ce monde, pendant cette vie et maintenant. Il dit que la logique des « uléma@s » - faites votre nama@z ici (sur Terre) et obtenez l’houris là-bas (dans l’au-delà) – ne lui convenait pas.[v][xv] Comme je l’ai dit au début de ce chapitre, s’efforcer d’être un homme bon, être serviable et aimable avec les autres, et essayer de vivre en harmonie avec eux, voilà ce que l’Islam recherche, selon lui ; la prière et le jeûne doivent tous nous guider sur cette voie.
L’ISLAM DANS L’HISTOIRE
Fateh{puri@ arguait que le sens et la visée de l’Islam avaient changé avec le temps et que de nombreuses idées fausses s’y étaient introduites, de par le fait que la religion qu’est l’Islam a été remplacée très tôt dans l’Histoire par le règne de l’Islam. Les caractéristiques de l’Islam, telles que sa simplicité, l’importance qu’il donne aux actions justes et son akhla@q, disparurent rapidement. Les errements du régime ou du gouvernement en place s’y infiltrèrent. Il a fait usage de l’analogie de la séparation de l’église et de l’Etat pour expliquer cela – dans la mesure où, dans le cas de l’Islam, celle-ci n’eut jamais lieu, les souverains ont eu l’opportunité d’exploiter la religion dans leur intérêt personnel ou politique, et ce en toute impunité.
Cependant, malgré ces dérives, Fateh{puri@ était convaincu que tant que les gouvernements islamiques existaient, qu’ils aient eu tort ou raison, une structure islamique perdurait. Lorsque cela ne fut plus le cas, les musulmans développèrent un complexe d’infériorité et cessèrent totalement d’expérimenter de nouvelles idées. C’est alors, selon lui, que la vision juste de Dieu fut détruite, que le sens de l’action des prophètes changea, que la foi dans les actions justes fut marginalisée et que l’Islam commença à s’imprégner de sottises et de superstitions traditionnelles. [vi] [xvi]
Il y avait toujours eu des évolutions dans la pensée religieuse et dans la réflexion de l’humanité à chaque nouvelle ère, selon Fateh{puri@. Avant l’Islam, c’était même de nouvelles religions qui faisaient leur apparition pour renouveler les modes de pensée. Si l’on doit croire que des prophètes sont apparus durant chaque période historique, alors, lorsqu’un prophète particulier était envoyé, il aurait été de cette époque et aurait été confronté aux problèmes de la société de son temps. Fateh{puri@ pensait que même les enseignements des prophètes évoluaient ; les prophètes disaient sans doute au peuple d’avoir recours à des idoles dans les temps anciens, mais, comme l’intellect humain se développait, ils ne tardèrent pas à demander aux hommes de prier en leur cœur. Il en découle, insiste-t-il, que la pensée musulmane devrait avoir atteint des sommets inégalés dans cette nouvelle période de progrès ; bien au contraire, il lui semblait qu’elle se retournait vers des principes que l’Islam avait à l’origine cherché à supprimer. Plutôt que d’adorer Dieu, les musulmans adorent des tombes et des pirs (maîtres soufis) et sont superstitieux. [vii] [xvii]
Fateh{puri@ n’a laissé aucun doute quant à qui était selon lui responsable de l’état actuel des choses, où le simple fait de poser des questions est assimilé à une hérésie : c’était les ulémas. Ceux-ci, selon lui, avaient abandonné le Coran pour se tourner uniquement vers les ahadith, les entourant d’une foi si brûlante que si quiconque s’aventurait à présenter une vision alternative de l’Islam, il était immédiatement taxé d’hérésie (mulhid, ka@fir) et excommunié. La quasi-totalité des modernistes d’Asie du Sud d’alors faisaient campagne dans le sens d’un retour aux sources originales, et plus spécifiquement au Coran, et d’un éloignement des ahadith, afin de mieux comprendre comment vivre en ce nouvel âge.
Certaines des questions religieuses par rapport auxquelles les opinions de Fateh{puri@ s’éloignent des approches traditionnelles sont discutées dans les pages suivantes :
LE STATUT DU PROPHETE
Fateh{puri@ expliquait que le statut de prophète pouvait se définir de deux façons différentes dans les religions d’aujourd’hui : l’une selon laquelle le prophète est perçu comme un reflet de Dieu sur Terre, un Avatar (comme dans l’hindouisme ou le christianisme), et l’autre selon laquelle il est un messager de Dieu (comme dans le judaïsme ou l’Islam). Cependant, malgré cette différence, toutes les religions s’accordent sur le fait que les prophètes vinrent sur Terre pour enseigner à l’humanité, pour lui annoncer les souhaits de Dieu et pour lui montrer la voie. [viii][xviii]
Fateh{puri@ a abondamment cité Shibli@@ au sujet de la définition de l’action des prophètes :
Tout comme Dieu a réparti les différentes qualités parmi les Hommes, afin que certains en soient privés et que d’autres en soient abondamment dotés, il existe une qualité spirituelle qui est l’essence même du prophète et qui est liée à la pureté de l’âme et de l’akhla@@q. La personne qui en est dotée est parfaite (ka@mil) en termes d’akhla@q et, par son influence, d’autres peuvent également le devenir. Cette personne n’a pas acquis cette qualité par l’éducation ou l’enseignement ; elle lui est innée. [ix][xix]
Fateh{puri@ était d’accord avec Shibli@@ quant à la définition du concept de prophète, mais il divergeait de l’opinion de la plupart des musulmans quant à la priorité accordée au prophète. Les musulmans considèrent en règle générale que Dieu vient en premier par ordre d’importance, et qu’il est suivi par le Coran et par Muhammad. Lui, en revanche, donnait la première place à Muhammad, ensuite venait le Coran et seulement ensuite Dieu. Selon lui, les musulmans connaissent le Coran et Dieu à travers Muhammad, et c’est pourquoi ses actions doivent être considérées avant tout.
Les Hommes veulent comprendre Muhammad à travers le Coran et le Hadith, et je veux vérifier le Coran et le Hadith à travers le prisme de la vie de Muhammad. Les Hommes disent : Muhammad est ce que le Coran dit qu’il est ; je dis que le Coran est ce que Muhammad a montré par les actions justes qu’il accomplissait chaque jour. Les Hommes suivent le Coran et Muhammad car ils craignent Dieu, et je veux comprendre Dieu et le Coran à travers mon amour pour Muhammad. [x][xx]
Le Prophète Muhammad, selon lui, était en somme un réformateur, inquiet de l’état de la société dans laquelle il vivait : son illettrisme, son ignorance, ses maux sociaux tels que la polygamie, l’infanticide, l’alcoolisme (etc.), sa culture matérialiste et l’adoration des idoles. Après tout, il resta assis dans une caverne pendant des semaines avant même l’avènement de la révélation. Fateh{puri@ devait y songer aux manières de débarrasser la société de son temps de ses maux et il semble bien que l’Islam se soit révélé une bonne façon d’y parvenir.
Bien que d’autres modernistes eussent également fait l’effort d’humaniser le Prophète, peu d’entre eux auraient été d’accord avec lui pour dire que le Prophète avait un but personnel en faisant naître l’Islam. Le Prophète était sans doute inquiet de l’état de la société, et il y devait y avoir une raison pour qu’il se rende dans cette caverne, mais ces deux éléments ne sont forcément liés. Fateh{puri@ s’aventurait apparemment ici dans le domaine de la spéculation pure.
Fateh{puri@ demandait : « Quelle est la position du Prophète dans l’Islam ? N’était-il qu’un messager, n’importe qui aurait-il pu devenir un messager ? ». Pour lui, le choix de Muhammad comme Prophète état crucial. Les actions de Muhammad, sa vie, sont des sujets de première importance pour Fateh{puri@. Il considérait comme sujette à débat l’affirmation selon laquelle le Coran était la parole de Dieu, mais il était pour lui historiquement prouvé qu’il provenait de la bouche de Muhammad. [xi][xxi] L’argument précédent, selon lequel le Prophète aurait pu avoir un programme réformiste bien à lui lorsqu’il fit naître l’Islam, combiné à son insistance sur le fait que la seule certitude que nous ayons est que le Coran fut énoncé par le Prophète revient à remettre en cause la moindre implication divine. Il s’agit d’un des exemples où il a sans doute poussé sa logique un peu trop loin, exprimant des opinions qui ne serait clairement pas acceptable pour un croyant ordinaire. Cette approche indiquerait qu’il était agnostique, alors il semble qu’il ne l’était pas. Il suivait simplement sa logique en tout point et n’avait pas peur d’exprimer des opinions radicalement différentes.
Etant donné sa conviction qu’il était de première importance de comprendre le Prophète afin de comprendre l’Islam, et étant donné sa méfiance vis-à-vis du Hadith, la question se pose de savoir comment il souhaitait étudier le Prophète. Il était très clair sur ce point : cela ne pouvait être fait qu’à travers le Coran.
La vie d’un homme peut être divisée en deux parties : l’une est historique et géographique, et l’autre est spirituelle et intérieure. Lorsque nous étudions la vie du Prophète nous nous rendons bien compte que, bien que la première partie soit parfaitement claire, la deuxième est le sujet de débats encore aujourd’hui. Comment le Prophète était-il personnellement, de quelles sortes d’intérêt la nature l’avait-elle doté, quelles étaient ses capacités intellectuelles ? Pour trouver la réponse à cela, nul besoin de recourir aux livres d’histoire ou au Hadith, car le Coran suffit. Et chacun de ses mots nous révèle à quel point sa foi était profonde et son akhla@q pur. Aucun des livres d’histoire n’a été écrit à l’époque du Prophète, ils sont donc des interprétations faites en d’autres temps et d’autres lieux. La majeure partie des ahadith est également douteuse et on ne peut les croire qu’après une enquête minutieuse. [xii][xxii]
LE CORAN EST-IL VRAIMENT LA PAROLE DIVINE ?
Comme on l’a mentionné plus haut, Fateh{puri@ était convaincu que la seule chose qui pouvait être prouvée historiquement était que le Coran avait été énoncé par Muhammad ; la question de savoir s’il s’agissait bien de la parole divine demeurait ouverte. La seule justification de son origine divine qui est généralement avancée, selon Fateh{puri@, est que la grammaire, la qualité littéraire et le style du Hadith diffèrent grandement et qu’ils ont donc pour origine des entités différentes, le Prophète et Dieu. Fateh{puri@ n’a jamais trouvé cet argument suffisamment satisfaisant pour prouver une affirmation aussi importante. Il admettait que le Coran était sans l’ombre d’un doute un livre extraordinaire dans tous ses aspects et que rien n’avait été produit à cette période qui puisse rivaliser avec sa longueur ou sa qualité. Il affirmait en revanche que ce serait aller trop loin que de dire que rien de tel n’aurait pu être écrit. La littérature et la poésie arabe de l’époque étaient fort développées, et les traditions orales en pleine expansion. Et dans la mesure où le Prophète Muhammad était lié à la tribu des Quraish, qui était elle-même connue pour sa littérature orale et la fluidité de son expression, on ne devrait pas s’étonner que sa maîtrise de la langue ait été particulièrement remarquable.
Fateh{puri@ répondait à la question de la différence de style et de qualité entre les deux œuvres en affirmant que la langue et les actions de chacun sont déterminées par ses émotions, et par leur intensité. Il prenait la poésie pour exemple. On peut trouver une grande diversité parmi les versets écrits par un seul poète, certains d’entre eux étant sans doute de plus grande qualité littéraire que d’autres. L’explication, selon lui, était que le poète entrait dans un certain état d’esprit lorsqu’il écrivait des versets de particulièrement bonne qualité. Ces versets, qui surgissaient soudainement dans l’esprit du poète sans qu’il ne fasse d’effort conscient, se trouvent même dans des spirales littéraires appelées ilha@mi@ ou révélatrices. [xiii][xxiii]
Pour en revenir au Prophète et au Coran, son hypothèse centrale était que le Prophète devait être dans un état d’esprit particulier, qui était le résultat de la révélation (wahy). Il expliquait que, contrairement à ses contemporains, le Prophète était né doué d’un discernement particulièrement acéré qui lui permettait de distinguer le bien du mal. Une personne telle que lui serait donc naturellement ulcéré par la situation dans laquelle il se trouvait. C’est cela, selon Fateh{puri@, qui le poussa à se retirer du monde et à se cacher dans des cavernes pour y méditer. Sa profonde réflexion le conduisit alors à un état dans lequel il pouvait commencer à produire ce message, les mots jaillissant de lui comme une source. Les mots de ce message étaient évidemment les siens, et la langue était celle qui était communément utilisée en ces temps et en ce lieu. La seule différence notable était le style, qui résultait directement, selon Fateh{puri@, de son état d’esprit. C’est ce qui constitue une véritable révélation pour Fateh{puri@. Et c’est ce qui explique la différence entre la langue du Coran et celle du Hadith. [xiv][xxiv]
W.C. Smith était bien loin d’être un admirateur de la logique extrême de Fateh{puri@; il lui déplaisait fortement que Fateh{puri@ s’en prit à l’idée même de révélation divine. « A l’en croire, le Coran était une œuvre littéraire, la contribution personnelle de Muhammad à la pensée mondiale ; toute autorité, ainsi que tous les rituels et le formalisme de la religion étaient rejetés. » [xv][xxv]
LA RELIGION NOUS VIENT-ELLE DE DIEU OU BIEN EST-ELLE ŒUVRE HUMAINE ?
Fateh{puri@ croyait en Dieu, et on peut en trouver plusieurs preuves dans ses écrits. En revanche, il n’était pas sur du lien entre Dieu et la religion. Comme on l’a vu précédemment, il s’est efforcé de rationaliser jusqu’à la révélation divine et a démontré qu’il était possible de considérer le Coran comme la contribution personnelle du Prophète. Cela s’explique par le fait que pour Fateh{puri@ la religion était plus utilitaire que spirituelle. La religion, selon lui, devait servir de guide à l’humanité, lui rappeler la nécessité des bonnes actions, de la bonne entente et de l’amour de Dieu, tout en étant active dans les affaires terrestres et en promouvant le progrès et le succès.
En réalité, toutes les religions du monde sont des créations humaines et ne sont pas liées à Dieu, à la révélation ou à la providence. Les livres que l’on dit révélés sont les fruits du cerveau humain et il en découle qu’ils présentent des pensées et des enseignements différents en fonction de leur époque et de leur région. Dieu n’a besoin ni de notre adoration ou de notre soumission, ni de nos prières. [xvi][xxvi]
La thèse de Fateh{puri@ était que l’intelligence humaine peut comprendre pourquoi certaines choses ont été soit interdites soit promues par la religion. En conséquence, il est tout à fait possible de dire que les instructions religieuses pourraient avoir été créées par une intelligence humaine afin de servir un but fonctionnel.
L’Akhla@q d’une personne est lié à ce monde, et leurs résultats sont visibles ici, et c’est à cause d’eux que certains ont été déclarés bons et d’autres mauvais. Ceux-ci ne sont pas affectés par votre origine familiale, et il n’est pas non plus nécessaire qu’il en soit rendu compte dans l’autre monde sous forme de récompense ou de punition. Nul besoin d’une révélation pour considérer que le vol est mal, les Hommes virent les problèmes que cela causait et firent parler Dieu. Protéger la société de tous les crimes qui provoquent des problèmes physiques, économiques ou sociétaux est une tendance naturelle que l’on peut trouver dans chaque individu, et c’est cette tendance qui lui a fait comprendre ce qui est bon et ce qui est mal. [xvii][xxvii]
LES DROITS QUE LES AUTRES ONT SUR NOUS
Dans l’Islam il est généralement accepté qu’il existe deux sortes de devoirs, le devoir envers Dieu (huqooq Allah) et le devoir envers ses frères humains (huqooq ul-iba@d). Fateh{puri@ insistait sur le fait que ces deux devoirs sont en réalité essentiellement un seul et même devoir. Dans la mesure où même les devoirs que nous accomplissons envers Dieu (c'est-à-dire accomplir l’huqooq Allah) font de nous de meilleurs Hommes, et font donc ensuite de nous des êtres plus attentifs aux besoins de nos frères humains, alors nous accomplissons aussi par ce biais nos devoirs envers les autres êtres humains (c'est-à-dire accomplir l’huqooq ul-iba@d).
Oublions à présent un peu les principes et venons-en aux faits : considérons ce qui a été considéré comme Huqooq Allah, et pourquoi il en a été ainsi. Toute éducation religieuse est basée sur deux ensembles : « Les Méthodes de Culte » et « Les Codes de Comportement ». Mettons de côté les « Comportements », car ils sont liés au Huqooq ul-ibad. Haq Allah est donc lié au « Culte », mais le culte, quelle que soit sa forme, est lié au Huqooq al-ibad… Même ceux qui considèrent que le nama@z, la roza@ et le hajj relèvent du Haq Allah ne pourraient nier qu’ils ont pour but notre propre bien. [xviii][xxviii]
Il expliquait son idée de la façon suivante :
Si nous ne suivons pas injonctions de la Sharia, cela aura des conséquences néfastes pour nous et notre communauté, et si nous les respectons religieusement, alors nous en bénéficierons nous-mêmes. C’est pourquoi toutes nos actions et notre culte font partie du Huqooq ul-ibad, et l’Huqooq Allah n’a pas de sens. [xix][xxix]
HADITH
Fateh{puri@ était convaincu que les évolutions de l’Islam ont été provoquées par le biais du Hadith (au pluriel : ahadith, dictions du Prophète). Il affirmait que nombre d’entre eux avaient tout simplement été inventés pour plaire au souverain d’alors. La raison pour laquelle il se permettait d’affirmer une telle chose, sûr que la plupart des gens serait d’accord avec lui, était que presque tous les modernistes – Sayyid Ahmad, Kha@n, Shibli@@ Nu’ma@ni@ - et même ses contemporains, tel Muhammad Iqbal, le poète-philosophe – étaient plus ou moins dubitatifs face aux ahadith dans leur ensemble et enjoignaient aux musulmans de les considérer avec prudence. [xx][xxxi] Sayyid Ahmad fit connaitre son désaccord avec les critiques exprimées à l’encontre du Hadith, arguant qu’elles étaient basées sur le caractère de ceux qui avaient relaté les ahadith et non sur une critique rationnelle du texte en lui-même. [xxi][xxxi] Shibli@@ Nu’ma@ni@ (1857-1974), l’un des intellectuels les plus reconnus de son époque et le plus traditionnel des enseignants de l’école d’Aligarh, était également conscient de la nécessité de définir les ahadith et leur usage. Soixante-quinze pages de son Si@rat al-Nu’ma@n[xxii][xxxii] visent spécifiquement à montrer à quel point Abu@ Hani@fah se montrait prudent et critique avant d’accepter un hadith comme véritable et contraignant. [xxiii][xxxiii] Iqbal était chargé de dépeindre le Khila@fah al-Ra@shidah (la période des quatre premiers califes) comme une utopie ; c’était alors que l’Islam était « pur », « social » et simple. » [xxiv][xxxiv] Plus tard, l’Islam devint un empire et tous les pièges du pouvoir vinrent de là.
RECOMPENSE ET CHATIMENT
En ce qui concerne la question des récompenses et des châtiments, les peuples de toutes les religions pensent que lorsque l’Homme n’écoute pas les instructions divines, il attire sur lui la colère de Dieu et, puisque le monde est un lieu d’apprentissage (da@r al-‘ilm), il ne subi pas son châtiment ici mais, lorsque Dieu sera juge le Jour du Jugement Dernier (qaya@mat), il devra répondre de tous ses actes devant Lui. Et Dieu punira ceux qui ont fait le mal pour leur désobéissance et, de la même façon, ceux qui ont fait son culte et qui lui ont obéi se verront récompensés par Lui. [xxv][xxxv]
Fateh{puri@ exprimait ainsi des opinions assez répandues quand à la question des récompenses et des châtiments, en citant Shibli@.
C’était la question de l’Enfer qui préoccupait le plus Fateh{puri@ et qu’il souhaitait clarifier. Il avait le sentiment que l’envoi vers l’Enfer de ceux qui ont fauté sur Terre ne pouvait correspondre à la vision d’un Dieu miséricordieux et bienveillant. Il disait que la Bible et le Talmud sont d’accord avec le Coran lorsqu’ils décrivent l’Enfer ; tous mentionnent le feu. Cependant, dans le Coran, le feu de l’Enfer est décrit avec tellement de détails graphiques qu’aucune autre explication n’est nécessaire. Après avoir lu cette description, il lui semblait que Dieu était tel un tyran ou un être vindicatif, qui traitait durement la faiblesse, comme si nos actions le blessaient personnellement. C’était comme si il se trouvait tellement de haine et de colère à notre encontre dans Son Cœur qu’Il ne pouvait pas être satisfait quand les mauvais se consumaient simplement, il devait en plus les faire brûler pour l’éternité. Fateh{puri@ dit que si cette description n’avait pas de sens caché, alors la raison humaine le forcerait à haïr ce Dieu, et s’Il était comme cela, ses qualités de miséricorde et ses bénédictions étaient dépourvues de sens. [xxvi][xxxvi]
Fateh{puri@, s’efforçant d’être objectif, reconnaissait également l’utilité de ces descriptions de l’Enfer et de l’image complètement opposée du paradis pour les masses, tout particulièrement si elles les poussaient à faire le bien et à se tenir loin du mal. Cependant, pour un homme intelligent et bon, qui n’a pas besoin d’être poussé ou contraint à faire le bien, cette description de l’Enfer est désagréable. [xxvii][xxxvii] Pour l’expliquer, Fateh{puri@ établit une distinction entre les masses et l’intelligentsia, affirmant qu’il était tout à fait possible pour deux approches d’un même problème de cohabiter. Après voir cité Shibli@@ (cité ci-dessus), il dit que la description du Coran est sans doute appropriée à la compréhension commune et qu’il n’y a sans doute pas de meilleur moyen d’empêcher les gens de se conduire mal et de les pousser vers le bien. En revanche, il pensait que cela ne peut être la seule interprétation des récompenses et des châtiments.
Pour Fateh{puri@, le « véritable » sens était qu’à chaque action, bonne ou mauvaise, correspondent des conséquences pour la psyché de celui qui les accomplit. Les bonnes actions nous rendent satisfaits et heureux, alors que les mauvaises nous rendent insatisfaits, seuls et coupables. Il insistait sur le fait que ces conséquences ne sont pas séparées de l’action ; en effet, il s’agit ici de cause et d’effet. Il citait l’Imam Ghaza@li@ pour s’expliquer : « Le châtiment qui suit une mauvaise action ne signifie pas que Dieu sera en colère, ou qu’il cherchera à se venger. Voici un exemple pour illustrer ce que je veux dire : si un homme ne s’approche pas d’une femme, il n’aura pas d’enfants (cause et conséquence). Le Jour du Jugement Dernier, le culte et les bonnes actions ont exactement le même sens. » Fateh{puri@ expliquait plus en détails en ayant recours à l’exemple de quelqu’un qui vole à quelqu’un d’autre : même si la personne qui était propriétaire de l’objet pardonnait au voleur, le fait qu’il ait volé demeurerait pour toujours une tâche sur son caractère. En conséquence, récompenses et châtiments, selon lui, sont les résultats directs des actions de chacun, imposés immédiatement par Dieu sur cette Terre. [xxviii][xxxviii]
Fateh{puri@ affirmait que le Prophète Muhammad s’adressait à des peuples tribaux dont les capacités intellectuelles n’étaient sans doute pas des plus élevées. Une description du paradis et de l’enfer qui leur corresponde était donc nécessaire, afin de les enjoindre à faire le bien et à éviter le mal.
Pour eux, le niveau de luxe et de bonheur le plus élevé n’avait pas dépassé le stade du lait, du miel, du vin et des femmes, et leur conception sommaire de la souffrance était d’infliger à leurs ennemis les souffrances du bûcher. Il s’en suit que toute tentative de les enjoindre à faire le bien en leur disant qu’ils y gagneraient le confort spirituel ou de les appeler à ne pas faire le mal sous peine de souffrance spirituelle était vouée à l’échec. Cette approche et cette forme d’exhortation ne fonctionnerait pas avec ces gens car leur horizon mental ne s’était pas suffisamment élargi pour pouvoir apprécier les concepts philosophiques de plaisir et de souffrance, et l’Islam ne serait pas parvenu à accomplir sa mission. [xxix][xxxix]
Il fait mention d’une autre raison pour laquelle les feux de l’Enfer n’étaient pas comme un véritable feu :
Si les feux de l’Enfer signifiaient la même chose qu’ici sur Terre, alors ils n’auraient pas été appelés les feux de Dieu, et il n’aurait pas été dit non plus que le feu est lié aux cœurs. Il est évident qu’un feu qui brûle dans le cœur ne peut que causer des souffrances spirituelles et n’est pas lié au feu tel que nous le connaissons. [xxx][xl]
Il est clair qu’Iqbal partageait la même conception d’un enfer et d’un paradis qui soient des états d’esprit plutôt que des lieux ; il dénonçait l’accent mis par la religion sur un autre monde, et le taxait de non-islamique et intrinsèquement mauvais. [xxxi][xli] McDonough explique ses opinions plus avant en disant « Les descriptions du Coran sont des représentations visuelles d’un fait intérieur, c’est-à-dire d’un caractère. L’Enfer, selon les termes du Coran, est le feu de Dieu qui brûle au-dessus des cœurs – la douloureuse réalisation de son propre échec en tant qu’homme. Le paradis est la joie du triomphe sur les forces de la désintégration. Il n’est pas de damnation éternelle dans l’Islam. » [xxxii][xlii]
Shibli@@ présentait également deux approches de ce problème dans son ouvrage, bien que de façon plus nuancée, et citait les mêmes passage du commentaire d’al-Ghaza@li@ sur un verset coranique que Fateh{puri@: « l’Enfer est au fond de vous », dit-il et \\\ « si vous n’avez pas compris cela, alors que vous n’avez rien compris du Coran à part sa croûte, tout comme le bétail ne mange que la cosse du blé. » [xxxiii][xliii]
Fateh{puri@ fit des efforts pour expliquer son raisonnement de la façon la plus simple possible, en l’illustrant d’exemples, car il écrivait pour un public de magazine. Pour illustrer cela et pour élaborer sur ce point, voici une citation :
Dieu a ordonné certaines choses et a interdit à l’Homme d’en faire certaines autres, de la même manière qu’un médecin recommande certains médicaments à un malade et lui demande de ne pas manger certaines choses ; si cette personne ne suit pas ses instructions et n’agit comme il le devrait, il accroit ses souffrances. Cet accroissement est le résultat direct de son refus de faire ce qu’il faut, mais les gens diront peut-être que c’est parce qu’il a désobéi au médecin que ses souffrances se sont accrues. Cependant, même si le médecin ne lui avait pas dit ces choses et qu’il n’avait pas fait ce qu’il fallait, ses souffrances se seraient accrues de toute façon. De la même façon, si Dieu ne vous avait pas dit comment discerner le bien du mal, les mauvaises actions nous causeraient malgré tout bien du mal à l’âme. [xxxiv][xliv]
Fateh{puri@ croyait que bien que l’Islam ait conservé plus ou moins la même approche des récompenses et des châtiments, du paradis et de l’enfer, que les autres religions avant lui, l’Islam avait cependant l’avantage d’avoir également énoncé « la réalité », de façon suggérée, et c’est ce qui le rendait supérieur à toutes les autres religions. Selon Fateh{puri@, toutes les autres religions ne parlent qu’aux masses (a@wa@m), alors que l’Islam a un message pour chacun : les intellectuels et les ignorants, les idiots et ceux qui sont doués d’intelligence, les hautes et les basses classes, les mystiques et les littéralistes (les Sufi@s et les Za@hiri@s).
PRIERE ET JEÛNE
La prière et le jeûne (nama@z et roza) sont parmi les aspects les plus importants de la pratique de l’Islam. Ce qui est étrange, cependant, c’est que le Coran ne dise rien sur la façon de les accomplir. Pour Fateh{puri@, cela signifiait clairement que le Coran et l’Islam ne souhaitaient pas forcer les gens à faire les choses d’une façon particulière. Cela voulait également dire que le Coran n’avait pas été révélé uniquement pour guider les Arabes, mais bien pour toute l’humanité, et comme l’humanité est divisée en différentes communautés, les Hommes ne peuvent tous être forcés de prier en une seule langue et d’une seule façon (t{ari@qa@). Et même s’ils le pouvaient, Fateh{puri@ était convaincu qu’ils n’y auraient jamais mis tout leur cœur. [xxxv][xlv]
Il illustrait cet argument au travers de l’exemple d’un esquimau vivant dans un igloo, en un lieu où la nuit dure 6 mois. Celui-ci ne pourrait en aucun cas adopter les méthodes de culte des arabes. Comment serait-il possible de faire la prière et le jeûne (qui sont guidés par la position du soleil) de la même façon ? C’est pourquoi le Coran ne dit rien quant à la façon juste de pratiquer le culte. Le culte n’a pour seul impératif que de se faire pour Le seul Dieu, et c’est le pilier de l’Islam – il peut ensuite se pratiquer de toutes les manières. [xxxvi][xlvi]
Fateh{puri@ remettait en question la mesure dans laquelle les décisions et les sentences islamiques étaient guidées par des influences arabes et, en conséquence, dans quelle mesure il serait nécessaire de penser différemment (ijtihad) en un autre temps et en un autre lieu. Il affirmait que Shah Wali@ Allah comprenait bien cette nécessité et cita Hujjat Alla@h al-Baligha pour le démontrer. Chira@gh ‘Ali@, l’un des piliers du mouvement d’Aligarh, dit sans équivoque, « la seule loi de Muhammad ou de l’Islam est le Coran, et seulement le Coran. » [xxxvii][xlvii] Fateh{puri@ était d’accord et affirma de plus que si le Coran ne définissait pas certaines choses qui semblent très importantes, alors c’est qu’il avait de bonnes raisons de ne pas le faire.
LE BUT DE LA ZAKA@T
Le véritable but de la zaka@t (charité), selon Fateh{puri@, était sans aucun doute d’accorder une aide juste à ses proches et aux nécessiteux de la communauté. Tous les musulmans sont conscients de ceci, dit-il ; en conséquence, la question ne soulève pas le moindre débat. Il demanda ensuite comment il pouvait s’expliquer que de nombreux musulmans, alors qu’ils étaient pleinement conscients de ce but, ignorassent simplement la zaka@t et s’efforcent d’y échapper en prétendant ne pas en être capable. Au vu des réticences des ulémas en particulier, il affirma : « il y a de nombreuses façons d’éviter la zaka@t dans les livres des fiqh, et nombre de nos ulama@’-i kara@m les utilisent. » [xxxviii][xlviii]
Fateh{puri@ décrivit une lacune que les gens utilisaient pour éviter la zaka@t. Lorsque l’année approche de sa fin, le mari déclare toutes ses possessions sous le nom de sa femme et lorsque la fin de l’année suivante approche, sa femme les lui rend, de telle sorte qu’aucun d’entre eux n’a été en possession des biens pour l’année précédente, du point de vue des taxes, et ils ne sont donc pas concernés par la zaka@t. Si le but de la zaka@t est si clair et évident, ces fraudes ne devraient pas exister, mais elles existent pour une raison très claire dans l’esprit de Fateh{puri@: c’était simplement que les musulmans ne comprenaient pas l’esprit des règles islamiques. C’est une chose de respecter les règles et une toute autre chose de comprendre leur but et d’agir en conséquence. Comme nous l’avons vu, tous les actes religieux que les musulmans ont accomplis en leur temps l’ont été uniquement en tant que rituels. Le véritable but ne se trouvait présent dans l’esprit de personne. Et c’était pourquoi la religion islamique avait perdu son esprit ; c’était bien cela qui détruisait la communauté.
Un lecteur demanda à Fateh{puri@ dans la colonne Istifar (questions et réponses) de son magazine, si, sachant qu’il donnait déjà plus de taxes au gouvernement britannique qu’il n’en aurait donné par la zaka@t, il devait tout de même s’acquitter de la zaka@t. Fateh{puri@ répondit que même si les taxes étaient plus élevées que la zaka@t, cet argent ne servait pas le véritable but de la zaka@t, qui est d’aider ses proches et sa communauté ; il n’était donc pas possible de dire qu’on l’avait déjà donnée. [xxxiv][xlix]
Il s’efforçait ainsi de démontrer que le but de la zaka@t était d’aider les gens dans le besoin et que chacun devait s’acquitter de ce devoir, quels que soit les autres impératifs auxquels chacun doit se soumettre. Il n’agissait pas d’une décision gouvernementale, à laquelle on se sentirait peu attachée et qui pourrait être évitée. Venir en aide aux nécessiteux devrait être une tendance venant du plus profond de chaque être ; c’était une partie intégrante de l’identité du musulman, et pas simplement un rituel qu’on est forcé d’accomplir et qu’on cherche à éviter autant que possible.
LIBRE-ARBITRE OU PREDESTINATION ?
Voilà un débat qui dure depuis que les érudits musulmans ont commencé à s’interroger sur l’Islam. Ce qui suscite l’intérêt dans l’analyse de Fateh{puri@, c’est son choix du juste milieu. Il était convaincu que le libre arbitre existe mais également que Dieu est conscient de toutes les actions des Hommes. Cela peut sembler être un paradoxe, mais il expliquait que dire que Dieu sait ce que chacun s’apprête à faire n’est pas contraignant, dans la mesure où cela ne force personne à faire exactement cela. L’Homme est doté du libre-arbitre et peut faire ce qu’il veut ; Dieu sait simplement comment chacun fera usage de ce libre-arbitre. Comme tout élément, comme le fer, dont le poids est une qualité prédéfinie, la volonté humaine (ira@da@-i insa@ni@) est une qualité prédéfinie de chaque Homme. Cette qualité est ce qui fait qu’une personne choisira une option en particulier dans une certaine situation et en évitera une autre. [xl][l]
Fateh{puri@ cita un proverbe du Calife ‘Umar ibn al-Khatta@b (581-644 A.D.c. 634-644 A.D.), dans lequel on lui présentait un mauvais homme qui jurait de son innocence en arguant que Dieu avait connaissance de ses actions, car elles lui était prédestinées. Le Calife ‘Umar répondit que Dieu avait sans aucun doute connaissance de ses actes, mais n’avait pas forcé l’homme à les commettre ; elles étaient le résultat de ses choix. Le Calife ‘Umar cita un proverbe du Prophète pour étayer ses dires, qui disait que le fait que Dieu connaisse les actions de chacun était assimilable au ciel qui nous recouvre et à la terre sur laquelle nous marchons. Tout comme nous ne pouvons quitter la terre ou dépasser le ciel, nous ne pouvons échapper à la connaissance de Dieu. Et tout comme le ciel et la terre ne nous force pas à commettre des actes mauvais, la connaissance de Dieu ne nous force pas non plus à faire quoi que ce soit. [xli][li]
L’imam Hasan al-Basri@ [xlii][lii] avait dit une chose similaire, d’après Fateh{puri@: si Dieu veut empêcher un homme de commettre une action, Il ne le prédestinera pas à la commettre ; c’est la volonté de chacun qui le fait aller ou non à l’encontre des instructions divines. Fateh{puri@ énonça ensuite la doctrine basique du Mu’tazilite [xliii][liii], selon laquelle si Dieu a prédestiné quelqu’un à l’adorer et à accomplir de bonnes actions, il n’y aurait pas de récompense (sawa@b) pour les prières et les actions justes. Si Dieu a prédestiné quelqu’un à accomplir de mauvaises actions, celui-là ne devrait pas être puni. [xliv][liv]
Fateh{puri@ pensait que la plupart des gens de son époque croyait en la prédestination en tant que moyen d’éviter d’assumer la responsabilité de leurs actions. La prédestination n’est qu’une excuse pour couvrir leur fainéantise, leur incapacité à produire quoi que ce soit de valeur. Après tout, l’humanité fut créée pour aider à développer le système naturel et l’’aql lui fut donné afin qu’elle y parvienne. Dieu leur transmis Ses enseignements par l’intermédiaire de la révélation, ainsi que le ‘aql pour discerner le bien du mal, afin que les Hommes puissent agir pour le bien commun en accord avec leur libre-arbitre. Naturellement, cela implique la responsabilité de faire ce que chacun pense être juste. Les gens ne peuvent faire porter le blâme à la prédestination pour leur incapacité. [xlv][lv]
‘AKHLA@Q
Dans tout ce que j’ai pu étudier de l’Islam, nulle part je n’ai trouvé l’étroitesse d’esprit qui caractérise les musulmans d’aujourd’hui… L’Islam nous enseigne l’akhla@q et nous dit que, en vérité, les musulmans sont ceux dont l’akhla@q est pur. [xlvi][lvi]
L’akhla@q était la plus importante caractéristique de l’esprit d’action religieux que Fateh{puri@ voulait faire revivre. Être religieux ne signifiait pas seulement dire les prières ; il s’agissait de devenir meilleur. « Les actions parlent plus fort que les mots », une expression qui décrit parfaitement les principes fondamentaux de Fateh{puri@.
« Les plus grandes caractéristiques de l’Islam sont sa simplicité et son enseignement de l’action juste, les deux étant liés à l’akhla@q (pensée éthique). » [xlvii][lvii]
W.C Smith traduit le terme akhla@q par « esprit éthique » [xlviii][lviii] tandis que Sheila McDonough l’appelle « pensée éthique. » [xlix][lix] C’est l’un de ces mots qui sont très difficiles à traduire car ils ont eu de nombreuses connotations différentes au cours du temps et dans l’espace. Cependant, Smith et McDonough ont raison de ne pas simplement traduire ce terme par « éthique », dans la mesure où il s’agit plus d’un « esprit » ou d’une « pensée » qui pousse un homme à faire ce qui est moralement correct que d’un ensemble de règles morales.
McDonough utilise le terme akhla@q pour signifier une attention portée aux vertus humaines idéales et au développement de structures sociales, économiques, politiques et religieuses justes. [l][lx] Elle note également que Sayyid Ahmad Kha@n utilisait le mot akhla@q pour désigner une formation constructive donnée à un individu sur comment interagir avec les autres et comment vivre harmonieusement en société. Dans la mesure où l’opposé de cela serait l’anarchie et le chaos, l’akhla@q désignait donc pour Sayyid Ahmad une obligation de vivre en paix, et le sentiment de fraternité et de partage. [li][lxi]
Shibli@@ accordait également énormément d’importance au raffinement de la morale (tadhi@b al-akhla@q) et, de même que Fateh{puri@, il croyait que la principale préoccupation du Prophète était de réformer la société et d’y faire fleurir les valeurs morales. [lii][lxii]
Bien que de nombreux réformateurs d’alors et d’auparavant reconnussent l’importance de l’akhla@q, Fateh{puri@ alla plus loin en disant que c’était le but même de la religion.
Après une étude approfondie des religions, j’en suis venu à la conclusion qu’aucune autre religion n’a accordé autant d’importance à la pureté de l’akhla@q que la religion musulmane. En fait, l’Islam affirme que le but du culte par les humains est d’atteindre la pureté et les bonnes qualités. En conséquence, vous noterez que, dans le Coran, à chaque fois que la nama@z ou une autre forme d’adoration est mentionnée, « amilu al sa@liha@t » (bonnes actions) l’est également. De telle façon que, si les actions d’une personne ne sont pas justes, toute son adoration et ses prières sont inutiles et il ne peut se prétendre musulman dans le vrai sens du terme. Il en découle que les bonnes actions sont l’âme du culte. [liii][lxiii]
L’Akhlaq signifiait un certain nombre de choses pour lui, mais avant tout, comme le montre Sayyid Ahmad, cela signifiait « bon comportement social ». Une personne qui était douée d’akhla@q agirait immanquablement au bénéfice de tous, respecterait les gens et leurs opinions et préserverait le sentiment de fraternité et de partage.
Une autre caractéristique très importante de l’akhla@q pour lui était l’humilité. Pour un musulman, être doué d’akhla@q signifiait être humble quant à ce que l’on possède, qu’il s’agisse d’un bien ou d’une capacité intellectuelle. L’arrogance est l’antithèse de l’akhla@q – une attitude qu’il observait chez les ulémas, puisqu’ils pensaient savoir mieux que quiconque tout ce qui touchait à la religion et à ses pratiques et condamnaient toute pensée innovante. Ils manquaient d’akhla@q selon lui. Par ailleurs, le Coran lui-même encourage l’humilité et met en garde contre l’arrogance. « Accomplissez la prière, faites preuve d’honneur et non de déshonneur. Et endurez stoïquement tout ce qui vous arrivera ; assurément c’est de la constance véritable. Ne détournez pas votre joue des hommes méprisés et ne parcourez pas la terre en exultant ; Dieu n’aime aucun homme fier et arrogant. Soyez modeste dans votre marche et parlez à voix basse ; la voix la plus hideuse est celle de l’imbécile. » (31:16).
Si l’on en croit les opinions de Fateh{puri@, la religion et l’akhla@q sont synonymes ; l’un ne peut exister sans l’autre. Il tournait en ridicule la division artificielle qui avait été créé entre eux par les ulémas, si quelqu’un est religieux, cela devrait vouloir automatiquement que cette personne est bonne, vit en harmonie avec les autres et aide ceux qui en ont besoin.
D’après ce que je comprends, les respectés ulémas ont déclaré que le bon akhla@q et l’Islam étaient deux entités différentes ; une relation telle les unit qu’il est possible d’avoir les deux ou de n’en avoir aucun. [liv][xiv]
Etre doué d’akhla@q devrait signifier accomplir de bonnes actions pour elles-mêmes, selon Fateh{puri@, car l’on en décide ainsi et non pas les accomplir par peur de l’enfer ou par désir d’accéder au paradis. Dieu nous a fourni Ses instructions et nous a également donné la raison, grâce à laquelle nous pouvons discerner le bien du mal. C’est à nous de l’utiliser activement pour faire ce qui est juste.
Cet akhla@q n’est pas seulement le domaine des musulmans, il peut être possédé par n’importe qui. Fateh{puri@ s’interroge : un musulman avec un mauvais akhla@q peut-il aller au paradis alors qu’un non-musulman avec un bon akhla@q n’y accéderait pas ? Il conclue qu’avoir l’akhla@q est plus important que d’être un musulman si une personne n’a de musulman que le nom, si l’Islam ne l’inspire pas à accomplir des actions justes, à être humble et à traiter chacun de façon égale. [lv][lxv] Il blâmait les érudits religieux d’alors, les accusant de faire croire que mémoriser quelques versets était plus important que d’avoir un bon akhla@q et de chercher à atteindre la perfection.
Les ‘ulama@-i kara@m, qui considèrent que les musulmans avec un mauvais akhla@q sont na@ji@ (vierge de tout péché) et que les adorateurs d’idoles honnêtes sont na@ri@ (des pécheurs), prouvent bien que parler sans comprendre de l’unicité de Dieu et du rôle du Prophète, c'est-à-dire, dirons-nous, faire le culte à leur manière, comme réciter un shlok (mantra), est suffisant. Et la raison d’être des Hommes dans l’univers est seulement de mémoriser quelques mots, car Dieu et les besoins de l’univers et de son système naturel sont satisfaits de la mémorisation de quelques petites lignes. [lvi][lxvi]
Fateh{puri@ demandait: “Dieu a-t-il besoin de la religion ou non, et si oui, ce besoin est-il satisfait lorsqu’une personne dit qu’il/elle est musulman(e) ? [lvii][lxvii] Pour lui, il était évident que Dieu et son Prophète voulait plus.
Le Prophète avait un akhla@q parfait, selon Fateh{puri@, digne d’être imité par tous les musulmans. Il était absolument convaincu que le Prophète avait mené une vie exemplaire en termes de bonnes actions envers les autres, même lorsque ceux-ci ne les méritaient pas.
Intéressons-nous à présent à quel type d’homme le Prophète était, en termes d’akhla@q. Personne ne peut nier que le Prophète était doté de qualités extraordinaires. Mais sa qualité la plus frappante, que même ses ennemis durent reconnaitre, était qu’il ne dit jamais, de toute sa vie, quoi que ce soit qu’il ne pensa pas vrai ou dont la véracité soit douteuse. [lviii][lxviii]
En fait, Fateh{puri@ considérait l’akhla@q comme étant, de façon évidente, la plus importante pratique : on n’avait même pas besoin de la révélation pour réaliser que c’était le but de sa vie. La théorie du paradis et de l’enfer n’est pas nécessaire pour comprendre l’utilité de faire le bien et les conséquences néfastes d’un comportement mauvais.
L’Akhla@q d’un Homme est lié uniquement à ce monde, et ses résultats permettent de dire qui a été déclaré bon et qui a été déclaré mauvais. Ils ne sont pas affectés par votre famille d’origine, et ils ne sont pas non plus nécessaires dans l’autre monde pour déterminer les récompenses et les châtiments. On a pas besoin d’une révélation pour considérer que le vol est une mauvaise chose : les Hommes ont vu les problèmes que cela causait et firent parler Dieu. Tous les crimes provoquent des maux physiques, économiques et sociétaux à l’humanité. Tout individu cherche naturellement à éviter ces problèmes et à s’en tenir à l’écart, et c’est ce désir de sécurité qui lui dit ce qui est bon et ce qui est mauvais. [lix][lxix]
Fateh{puri@ croyait que le succès dans ce monde est défini uniquement par la capacité à cultiver un akhla@q pur.
Si en réalité il est possible d’établir une échelle du succès ou de l’échec d’une vie humaine, celle-ci est sans doute sociale. C'est-à-dire que les services qu’une personne a rendu à sa communauté, les sacrifices qu’il a fait pour réformer sa communauté et sa nation, et les bénéfices matériels et intellectuels qu’il a fait partager aux autres… Réciter des prières et se tenir sans eau ni nourriture de l’aube au crépuscule sont en elles-mêmes des activités dépourvues de sens, si elles n’ont pas pour résultat d’accroitre l’akhla@q, et l’akhla@q n’est relié qu’à la vie sociale d’un individu. En conséquence, la mesure du succès du culte et des prières d’une personne, plutôt que de s’échelonner en quantité de prières et en durée de jeûne, devrait inclure également les services rendus par une personne à sa communauté. » [lx][lxx]
Fateh{puri@ considérait que cultiver son akhla@q était le but de la religion, et celui de tout être humain.
Il ne peut être nié que le vrai but de la religion était de faire d’un Homme un véritable être humain, en le séparant de ses instincts animaux et en l’amenant à un niveau de rationalité où il est possible de progresser dans le monde et de vivre en paix et en harmonie. En conséquence, toute personne, quelle que soit sa communauté ou sa nation, en fonction de ses actes et de son caractère, si elle se trouve à ce niveau de rationalité, alors on peut dire qu’elle a trouvé la véritable religion et on ne peut la forcer à accepter les autres commandements que la religion considère comme nécessaires. [lxi][lxxi]
LE CARACTERE UNIQUE DE LA PENSEE DE Fateh{puri@
Avant que Fateh{puri@ ait commencé à écrire des traités de religion, une grande partie du chemin avait déjà été parcouru par ses prédécesseurs, tels que Sayyid Ahmad et Shibli@@. De nombreuses nouvelles idées avaient été introduites et le processus de réinterprétation de l’Islam par la pensée moderne avait déjà commencé. Le caractère unique de la pensée de Fateh{puri@ se trouvait dans sa radicalité. Lorsque les modernistes dirent que l’Islam contenait en son sein toutes les valeurs modernes du libéralisme, du rationalisme, de la démocratie et de l’égalité, il prit cela au sérieux. Il produisit un Islam débarrassé de tous ses miracles, mais plein d’idéaux simples. Son Islam était totalement rationnel et ne comprenait que des choses pleines de sens. Si l’idée selon laquelle le Coran était la parole divine sortie de la bouche d’un humain n’avait pas de sens, même celle-là était rejetée.
La phobie du supranaturel était également l’une des caractéristiques de la pensée de Fateh{puri@, bien que la croyance dans « le non-vu » fasse également partie de l’Islam. Les gens sont attirés par Dieu car Il est au-delà d’eux ; Il est quelqu’un qui se situe au-dessus d’eux, qui est là lorsque les temps sont durs, une entité devant laquelle ils doivent répondre. La croyance religieuse est, au fond, supranaturelle, car Dieu est au-delà de l’Homme. Si toutes les religions pouvaient être réduites à l’induction et à la déduction, elles perdraient leur mystère et leur pouvoir d’attraction. D’après lui, cependant, la « vérité », la « pensée éthique » et les « actions justes » étaient beaucoup plus importantes que la « foi ». Il était convaincu que la religion avait d’excellentes idées, qui poussaient l’homme à faire le bien et l’enjoignait d’utiliser sa raison au bénéfice du monde et de lui-même ; tout ce qui s’éloignait de cela ne pouvait être cru.
Comme on l’a noté plus tôt, son prédécesseur, Sayyid Ahmad, essayait d’adapter l’Islam aux standards modernes. Il essaya de répondre aux critiques des écrivains occidentaux en montrant que l’Islam n’était pas aussi arriéré qu’on aurait pu le croire, et qu’il était au contraire progressif. La plus grande similarité entre Sayyid Ahmad et Fateh{puri@ était qu’ils étaient tous les deux capables de considérer le Hadith, la Sharia (loi islamique) et même le Coran de façon dépassionnée. En conséquence, ils étaient tout à fait capables de les soumettre à une critique rationnelle, et de nombreuses nouvelles idées naquirent de ces études. A la suite d’une tradition inaugurée par les premiers modernistes qu’étaient Sayyid Ahmad et Shibli@@, Fateh{puri@ tenta de montrer que l’Islam lui-même avait toutes les valeurs nécessaires pour survivre dans l’âge moderne.
Au sujet de Sayyid Ahmad Kha@n et Mawlana Maudu@di@, Sheila McDonough argue qu’aucun des deux ne pensait que la modernité signifiait la fin de l’Islam. [lxii][lxxii] Ils essayaient tous les deux d’assimiler les deux et de trouver le moyen d’être fidèle envers Dieu dans la situation actuelle. Le monde autour d’eux était en train de changer, et de changer rapidement; ils réalisèrent tous les deux qu’à moins que l’Islam ne s’adapte aux réalités contemporaines, il était voué à s’éteindre. Ils avaient des stratégies différentes pour faire face à cela, ainsi que des objectifs totalement opposés, mais, au fond, ils cherchaient à surmonter la même réalité.
Fateh{puri@ faisait face à une situation similaire. Sayyid Ahmad introduisait de nouvelles idées parmi les musulmans. Il comprenait cela et il ressentait donc un besoin encore plus grand de justifier ses opinions. Son programme était, concrètement, social et éducatif ; le changement de mode de pensée qu’il demandait devait servir ce but. Maudu@di et Fateh{puri@, à l’opposé, étaient confrontés à une situation dans laquelle ces idées modernes, acceptables ou non, étaient déjà bien connues dans la société. Bien que Maudu@di@ ait été en faveur du traditionalisme, sa façon de penser et de s’exprimer était celle d’un moderniste. Fateh{puri@ est né à la même période et s’aperçut que les idées occidentales étaient similaires aux siennes et, par conséquent, tout à fait acceptables. Il chercha et trouva des justifications pour ces idées dans l’Islam et était grandement surpris que les ulémas puissent voir les choses différemment.
Bien que Fateh{puri@ ait vu beaucoup de sens dans l’Islam – c’était la religion la plus pratique, la plus rationnelle et la plus progressiste selon lui – il ne voyait cependant rien de bon dans la façon dont elle était pratiquée. Il souhaitait des changements majeurs, non seulement dans les détails pratiques de la religion, mais également dans le système de croyance. Par exemple, le fait qu’il existât des gens qui s’efforcent d’éviter la zaka@t était une preuve de leur manque d’akhla@q. Cependant, l’akhla@q n’était pas quelque chose que l’on pouvait imposer aux être humains ; c’était quelque chose qu’un individu acquérait ou non. Il était convaincu que tous ces changements étaient possibles tant que la « bonne » approche de l’Islam, pour reprendre ses termes, était mise en avant. Néanmoins, il était tout à fait impossible que tout le monde en vienne à penser de la même façon. Peu de gens s’efforcerait de comprendre et de suivre la bonne approche simplement parce que Fateh{puri@ pensait qu’elle était rationnelle. Il montrait ce qui était mauvais dans la pensée dominante et que le moyen de s’en sortir était d’adopter l’akhla@q, c'est-à-dire de pratiquer le « véritable » Islam au quotidien. Mais il ne laissa pas de programme clair quant à comment accomplir cela.
W.C Smith concluait, en ce qui concerne le mouvement de Fateh{puri@, que : « son manque d’idéologie positive, en revanche, a conduit à ce que lui aussi s’éteigne rapidement. L’esprit éthique sans lignes de conduite positives est soit inadéquat soit superflu. » [lxiii][lxxiii] Un autre commentaire de Smith était également très éclairant, c'est-à-dire que le nouvel individu était dépourvu d’autorité :
La nature de sa vie – la société bourgeoise se développe constamment, change, produit de nouvelles situations plus complexes – était telle qu’il [Sayyid Ahmad] ne pourrait jamais développer une nouvelle autorité. Pour le moins, pas une nouvelle autorité aussi forte que l’ancienne, un code fixe de solutions toute-prêtes à ses problèmes. Ainsi, Sir Sayyid, en rejetant l’ancien Droit Canon, ne le remplaça pas par un nouveau, et aucun de ses successeurs ne l’a fait ; il se contenta de mettre l’accent sur les principes moraux du Coran. [lxiv][xxiv]
C’est l’une des critiques majeures des théories modernistes de l’Islam. L’ancienne doit être rejetée, mais sans dire par quoi elle devrait être remplacée ? Fateh{puri@ avait une réponse à cela : l’akhla@q. L’akhla@q, cependant, ne peut être évalué qu’individuellement. Fateh{puri@ était convaincu que si les gens pensent par eux-mêmes, s’ils découvraient ce que l’Islam signifie véritablement pour eux, alors même les prières et le jeûne mènerait au développement d’un bon akhla@q. Bien entendu, tout cela parait très rationnel et dénote une grande foi en l’humanité, mais ce n’est pas très applicable pratiquement pour les masses. La plupart des gens trouveraient plus simples de suivre les solutions toute-prêtes proposées par les ulémas, plutôt que de penser par eux-mêmes.
Néanmoins, même s’il est capable d’inspirer quelques érudits éclairés, un changement dans les modes de pensée est tout à fait possible. En effet, il est en train d’avoir lieu : des écrivains tels que Jeffrey Lang aux Etats-Unis croient en l’Islam et en la critique rationnelle des religions, et ils en arrivent à des conclusions très similaires à celles de Fateh{puri@. Pour citer Lang :
« La clé du succès dans cette vie et dans l’au-delà est décrite si fréquemment et si formellement dans le Coran qu’aucun lecteur sérieux ne peut la rater. Cependant, l’extrême simplicité de celle-ci peut nous amener à la négliger, car elle semble ignorer les grandes questions et les complexités de la vie. Le Coran répète que seuls « ceux qui ont la foi et font le bien » (en arabe : allathina aaminu wa ‘amilu al saalihaat) bénéficieront de leur vie terrestre (Coran - 2:25; 2:82; 2:277; 4:57; 4:122; 5:9; 7:42; 10:9; 11:23; 13:29; 14:23; 18:2; 18:88; 18:107; 19:60; 19:96; 20:75; 20:82; 20:112; 21:94; 22:14; 22:23; 22:50; 22:56; 24:55; 25:70-71; 26:67; 28:80; 29:7; 29:9; 29:58; 30:15; 30:45; 31:8; 32:19; 34:4; 34:37; 35:7; 38:24; 41:8; 42:22; 42:23; 42:26; 45:21; 45:30; 47:2; 47:2; 47:12; 48:29; 64:9; 65:11; 84:25; 85:11; 95:6; 98:7; 103:3).[lxv][lxxv]
Croire en Dieu et accomplir de bonnes actions, en d’autres termes l’akhla@q, voilà ce qui caractérise une vie religieuse et pleine de succès sur cette Terre, si l’on se base sur une lecture rationnelle du Coran. La citation ci-dessus prouve également la fréquence avec laquelle le Coran nous demande d’être de bons êtres humains et, comme Fateh{puri@ le dirait, c’est cela que signifie être un bon musulman.
Niyaz Fatehpuri, (1884-1966 A.D/ 1302-1384 A.H) était un critique littéraire accompli, un poète et un érudit religieux. Il fut responsable de la publication d’un magazine mensuel très prestigieux, Nigaar, qui vit le jour comme journal littéraire en 1922 et devint rapidement une plateforme de débat entre érudits désireux de discuter des questions religieuses, idéologiques, politiques et sociologiques les plus controversées de l’époque.
Fatehpuri reçut l’essentiel de son éducation initiale à la Madrasa-i-Islamia de Fatehpur, puis à la Madrasa-i-Aliya de Rampur. Ensuite, il étudia au Farngi Mahal et à la Nadwatul-Ulama de Lucknow. Il réussit son examen d’entrée dans le supérieur (système scolaire britannique) à Fatehpur en 1899.
Durant toute sa vie, Fatehpuri défendit sans faiblir l’idée que la religion doit être réinterprétée à la lumière des nouvelles connaissances de l’époque et du lieu où les musulmans se trouvent, sur la base de sources religieuses acceptées. Il parlait en tant qu’homme de religion, ce qui venait non seulement de sa connaissance profonde de la religion mais aussi de sa foi en elle. Fatehpuri mena une croisade contre les Ulémas, qu’il considérait comme responsables de la stagnation de la pensée religieuse musulmane, qui était elle-même responsable des souffrances économiques et sociales des musulmans. Il croyait que le but premier de la religion était d’enseigner l’Akhlaq (esprit éthique) aux Hommes. L’Akhlaq, pour lui, signifiait accomplir de bonnes actions pour elles-mêmes (comme c’est le devoir naturel de tout individu) et pour l’amour de Dieu.
Fatehpuri passa le plus clair de sa vie d’adulte à Lucknow et partir pour Karachi en 1962. Il fut bien accueilli au Pakistan et put y relancer Nigaar. Il continua à écrire jusqu’à sa mort, en 1966.
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Juhi Shahin est doctorant au département d’histoire de l’université de Tufts, aux Etats-Unis. Elle possède un diplôme de master en Etudes Islamiques de l’université de McGill, au Canada. Ce livre provient de son mémoire de master, qui se trouvait sur la liste d’Honneur du Dean, à McGill. Elle s’intéresse à l’histoire islamique, au droit islamique vis-à-vis des femmes, au rôle social de l’islam dans les pays musulmans, ainsi qu’à l’histoire intellectuelle et sociale de l’Islam en Asie du Sud. Elle possède également un master en Etudes Islamiques de la Jamia Millia Islamia, à New Delhi. Sa licence a été obtenue à l’Université de Delhi, en journalisme.
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Extraits publiés avec la permission de l’éditeur FEROZSONS Pvt. Ltd, Pakistan. Publié récemment, le livre est disponible dans toutes les librairies majeures au Pakistan. Prix : 495 roupies. Pages : 206. Email: support at ferozsons.com.pk
Références:
[i] Niya@z Fateh{puri@, “Si@dah Ra@stah,” Niga@r, January 1959, 90.
[ii] Fateh{puri@, Man o-Yazda@n, vol. II, 413-416.
[iii] Ibid.
[iv] Wilfred Cantwell Smith, Modern Islam in India: A Social Analysis (London: Victor Gollancz Ltd., 1946), 121.
[v] Ibid.
[vi] Fateh{puri@, Man o-Yazda@n, vol. II, 413-416.
[vii] Ibid.
[viii] Wilfred Cantwell Smith, Modern Islam in India: A Social Analysis (London: Victor Gollancz Ltd., 1946), 121.
[ix] Niya@z Fateh{puri@, “Si@dah Ra@stah,” Niga@r, January 1959, 90.
[x] Ibid.
[xi] Niyaz Fateh{puri@, Niga@r, September 1936, p. 3
[xii] Fateh{puri@, “Eik Ta@rikhi@ Ya@dga@r,” 2.
[xiii] Fateh{puri@, Istifsa@r, vol. III, 349.
[xiv] Niya@z Fateh{puri@, “Isla@m ka ‘Aqli@ Jayeza,” Niga@r, January 1959, 56-80. Also see: Niya@z Fateh{puri@, “Maz{a@hib-i ‘A@lam mei Islam ka martaba@,” Niga@r, January 1959, 14-25.
[xv] Fateh{puri@, Istifsa@r, vol. III, 349.
[xvi] Fateh{puri@, “Islam ka ‘Aqli@ Jayeza,” 57.
[xvii] Fateh{puri@, Istifsa@r, vol. III, 346.
[xviii] Fateh{puri@, “Islam ka ‘Aqli@ Jayeza,” 63.
[xix] Ibid.
[xx] Fateh{puri@, “Muh{ammad, Qur’a@n aur Khuda@,” 33-43.
[xxi] Ibid.
[xxii] Niya@z Fateh{puri@, Man-o Yazda@n (Lucknow: Niga@r Book Agency, 1947), Vol. II, 372-3.
[xxiii] Fateh{puri@, Man o-Yazda@n, vol. II, 413-416.
[xxiv] Ibid.
[xxv] Wilfred Cantwell Smith, Modern Islam in India: A Social Analysis (London: Victor Gollancz Ltd., 1946), 121.
[xxvi] Niya@z Fateh{puri@, “Si@dah Ra@stah,” Niga@r, January 1959, 90.
[xxvii] Ibid., 91.
[xxviii] Niya@z Fateh{puri@, “H{aq Allah koi chi@z nahin.” Niga@r, January 1959, 134.
[xxix] Ibid.
[xxx] On the other hand, the ‘ulama@ were emphasizing h{adi@th. See: Zaman, Ulama in Contemporary Islam, 12.
[xxxi] Aziz Ahmad, Islamic Modernism in India and Pakista@n: 1857-1964 (London; Bombay; Karachi: Oxford University Press, 1967), 49-50.
[xxxii] Murad, Intellectual Modernism of Shibli Nu’mani, 186-245. From: Shibli@ Nu’ma@ni@@, Si@rat al-Nu’ma@n (Lahore: Kutub Kha@nah-i Azi@ziyah, 195?), 170-245.
[xxxiii] Ibid.
[xxxiv] Smith, Modern Islam in India, 117.
[xxxv] Fateh{puri@, “Islam ka ‘Aqli@ Jayeza,” 65-67.
[xxxvi] Ibid.
[xxxvii] Ibid.
[xxxviii] Ibid.
[xxxix] Fateh{puri@, “Muh{ammad, Qur’a@n aur Khuda@,” 41.
[xl] Ibid., 42.
[xli] Smith, Modern Islam in India, 107.
[xlii] Sheila McDonough, The Authority of the Past: A Study of Three Muslim Modernists (Chambersburg, Pennsylvania: American Academy of Religion, 1970), 25.
[xliii] Shibli@ Nu’ma@ni@@, ‘Ilm al-Kala@m (Lahore: Shaikh Ja@n Muh{ammad Ila@h Bakhsh, 1945), 139-43.
[xliv] Fateh{puri@, “Islam ka ‘Aqli@ Jayeza,” 65-67.
[xlv] Ibid, 69-80.
[xlvi] Ibid.
[xlvii] John J. Donohue and John L Esposito, ed., Islam in Transition: Muslim Perspectives (New York; Oxford: Oxford University Press, 1982), 44.
[xlviii] Fateh{puri@, Man o-Yazda@n, vol. II, 396-397
[xlix] Ibid.
[l] Fateh{puri@, Man-o Yazda@n, vol. II, 28-29.
[li] Ibid.
[lii] Abu Sa’id ibn Abi al-Hasan Yasar al-Basri (642-728) est l’une des plus importantes figures de l’Islam naissant. Il était professeur à Basra, en Irak. Parmi ses nombreux élèves, on compte Wasil ibn Ata (700-748), qui devint le fondateur du Mu’tazila.
[liii] Mu’tazila est une école islamique fondée au 8ème siècle à Basra, en Irak, par Wasil ibn Ata. Les Mu’tazilites s’appellaient eux-mêmes les Ahl al-Tawhid wa al-‘Adl (le peuple de l’unité divine et de la justice). Ils défendaient l’usage de la raison dans la théologie et s’appuyaient sur la logique et la philosophie grecque.
[liv] Fateh{puri@, Man-o Yazda@n, vol. II, 30-31.
[lv] Ibid.
[lvi] Fateh{puri@, Man-o Yazda@n, Vol. 1, 23
[lvii] Fateh{puri@, “Isla@m ka ‘Aqli@ Jayeza,” 57.
[lviii] Smith, Modern Islam in India, 121.
[lix] Sheila McDonough, Muslim Ethics and Modernity – A Comparative Study of the Ethical Thought of Sayyid Ah{mad Kha@n and Mawlana Maudu@di@ (Waterloo: Wilfrid Laurier University Press, 1984), 4.
[lx] Ibid., 17-18.
[lxi] Ibid., 49.
[lxii] Murad, Intellectual Modernism of Shibli Nu’mani, 6-7.
[lxiii] Fateh{puri@. “‘Ulama@-i Kara@m ka@ ‘aji@b-o ‘gari@b di@ni@ naz{ariyyah,” 52.
[lxiv] Ibid., 53.
[lxv] Ibid., 52-55.
[lxvi] Ibid., 54
[lxvii] Ibid.
[lxviii] Niya@z Fateh{puri@. “Qur’an wahy Illa@hi@ hai lekin Khuda@ ka@ kala@m nahin,” Niga@r, January 1959, 33.
[lxix] Fateh{puri@. “Si@dah Ra@stah,” 91.
[lxx] Niya@z Fateh{puri@, “T‘ali@ma@t Islami@ ka S{ah{ih{ Mafhu@m aur Hamare ‘Ulama@’ Ki@ra@m,” Niga@r, January 1959, 122-123.
[lxxi] Niya@z Fateh{puri@, “Maz{hab ka@ Afa@di@-o ‘Aqli Tas{awwur,” Niga@r, January 1959, 11.
[lxxii] McDonough, Muslim Ethics and Modernity, 4.
[lxxiii] Smith, Modern Islam in India, 121.
[lxxiv] Ibid., 21.
[lxxv] Jeffrey Lang, Even Angels Ask: A Journey to Islam in America (Beltsville, Maryland; Amana Publications, 1997), 35
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